14 mai 2013

Cent-bornard : J-137


Aujourd’hui, mardi 14 mai, j’ai déjà l’œil fixé sur un horizon à 137 jours : les 100 kilomètres de Millau fin septembre 2013. Une épreuve qui me fascine depuis que je suis étudiant, tout comme me fascinaient les 24 Heures du Mans, le rallye Monte-Carlo et le Paris-Brest-Paris à vélo. J’ai foiré l’occasion de participer à la première en 1992, mais pu participer (et terminer) les deux derniers, respectivement en 1984 et 1979. Ne me reste donc plus qu’à épingler au rayon des rêves accomplis, cette épreuve de Millau. De surcroît, l’évolution de ma santé impose de ne plus retarder l’échéance. Ce sera donc cette année et j’ai déjà réservé mon hôtel sur place depuis un bon mois.
Sauf que courir 100 km quand on n’a repris la course à pied que depuis exactement huit mois signifie un minimum d’engagement et de préparation. Le vainqueur 2005, Bruno Heubi, propose un plan d’entraînement en 9 semaines, mais dont les séances ne dépassent jamais 3h00 à l’allure 100 km. 
Peut-être parce que je vieillis, que la raison l’emporte maintenant sur la fougue, que je pars avec un handicap de santé, et que j’ai couru mon premier marathon en 1984 avec énormément de sorties (très) longues (pour au final réaliser ce qui restera à jamais ma meilleure performance sur la distance, soit 2h37), toujours est-il que cette "limite" d’entraînement de 3h00 ne correspond pas à ma manière de préparer les grands défis. Aussi ai-je programmé 18 séances, à raison d’une par semaine, avec systématiquement un rythme d’endurance et du dénivelé qui ira sans cesse croissant car ce n’est pas la distance qui m’inquiète mais bien ce dénivelé qui avoisine les 1180 m D+. A cette heure, je pense que couvrir la distance en moins de 15 heures est envisageable. Si, bien sûr, mon état de santé reste en l’état.
Donc, première sortie ce matin pour 16,5 km et 259 m D+. J’habite une région qui ne présente jamais plus de 100 mètres de dénivelé consécutif. Gênant quand m’attendent près de 300 mètres de grimpette continue sur environ 10 km ! Tracer un parcours qui présente les mêmes similitudes que les montagnes aveyronnaises est donc assez problématique. Je dois faire avec. Cela ne serait pas drôle si c’était trop facile ! Pour l’épreuve de Millau, je me fixe un objectif de 7’/km en terrain plat et 8’/km en terrain montant, les descentes étant synonymes de récupération sur la base de l’avancée en terrain plat. Je dois donc m’entraîner sur ces bases pour mémoriser ces allures et habituer le corps à ce type d’effort particulier. Ce n’est pas rapide, mais primo, j’ai passé l’âge des exploits chronométrés ; deuzio, je veux participer en me faisant plaisir, ce qui exclut toute forme de souffrance ; tertio, même si je rêve de cette épreuve depuis 30 ans, elle n'est pas pour moi une fin en soi, mais une préparation pour mon futur périple où je devrai cheminer en deux jours seulement à travers 165 km de zones semi-désertiques.
Bilan de cette première sortie : parfait. Avec du vent, quelques rares rayons de soleil et quelques gouttes de pluie, les conditions étaient idéales pour un entraînement. Certes, je suis allé bien trop vite : j’ai progressé à 6’53/km en moyenne au lieu de 7’19/km. Je pense qu’au fil des semaines, je saurai mieux me caler. 




7 mai 2013

Le dossard 288 abdique


Ce samedi 5 mai, ce devait être le trail Yonne 2013, un 63 km avec 1300 D+ au départ de Sens. Une épreuve que j’ai choisie à l’automne précédent et à laquelle, je me faisais une joie de participer, ce type d’épreuve avec sac à dos étant plus dans l’esprit de la marche que j’envisage à travers quelques pays européens et asiatiques que la course à pied. 
Malheureusement, je ne suis pas passé sous l’arche de départ et je n’ai pas foulé les collines sénonaises. Une santé défaillante toute la semaine, avec beaucoup de chutes de tension, m'a poussé à renoncer. On ne va pas refaire la bêtise du MDP 2013, hein ? ;-)





A la place, j'ai tenté en matinée un micro trail, un parcours de 27 km avec 345m D+. Choix judicieux puisque j'ai senti que ça n'allait pas le faire dès le 10e km. J'ai alors choisi d’abréger le parcours, mais un violent malaise au 15e km (une chute de tension brutale ?) alors que j'étais en mode course sur un faux plat descendant m’a violemment fait chuter. Je m’en tire avec deux poignets bien écorchés, un genou gauche un peu en vrac et quelques ecchymoses diverses. La chute a été sûrement amplifiée par le sac à dos rempli façon trail et alourdi par le kilo de l'appareil photo. Ce qui me fait penser que l'appareil photo sur un trail, ce n'est peut-être pas la meilleure des idées ...
L’absence du dossard 288 à Sens était donc vraiment la bonne décision à prendre. Je retiens aussi que les sentiers du Soissonnais recouvert de pétales de fleurs ont belle allure.




6 mai 2013

La borne M


Lundi 22 avril. Montagne de Soissons, altitude 125 m, commune de Saconin-et-Breuil, dans l'Aisne. Au beau milieu d'un champ, loin de tout, référencée sur aucune carte, une borne. Inclinée à 13° sûrement par quelque manœuvre d'un engin agricole, d'une hauteur d'environ 80 cm, gravée d'un M.

Indication pour qui puisqu'il n'y a qu'un chemin qui sépare des champs ? Vigie pour quoi ? Que signifie cette lettre M ? A cette place depuis quand ? 

Peut-être que je ne trouverai jamais ces réponses. Mais cette borne me plaît. Elle me semble idéale pour illustrer mon blog. Ce jour-là, grâce à elle, j'ai décidé d'ouvrir ce blog.


Entraîné par la foule ... (Marathon de Paris 2013)


Instantanés durant mon marathon de Paris 2013.

Bientôt en ligne !
(Oui, plus de dix mois pour rédiger, ça fait un peu long ... mais à épreuve magique et défi osé, compte-rendu en rapport, soit déjà plus de 90.000 signes ou 16.000 mots :-) )

5 mai 2013

Marcher malgré tout

Dimanche 24 février, c'est reparti pour une marche. Dans la neige puisque les épisodes neigeux se succèdent depuis plusieurs semaines. En mode marche parce que depuis fin janvier, c'est la méforme totale. Les deux-tiers de mes entraînements course à pied ont été annulés pour fatigue excessive et mes longues sorties ont toutes été impossibles à réaliser. A 42 jours du marathon de Paris, enchaîner les kilomètres devient impératif. Je pars donc dans les collines environnantes. A défaut de courir, la marche en côtes développera les muscles des cuisses et renforcera le cœur.


4 mai 2013

J’ai tenté l’endurance fondamentale


Dimanche 27 janvier, 09h15. C’est parti. Rien ne va (grosse fatigue, pas envie, soucis gastriques) mais c’est parti quand même pour de l’endurance fondamentale. Je me suis fixé de courir sur une base de 6’40 au km durant 24 km, séance qui est à mon programme à 70 jours du marathon de Paris. Pas franchement de l’endurance fondamentale puisque, pratiquement, c’est mon allure marathon …
Quelques gouttes de pluie. Ah, si j’avais su, je ne serai pas parti.
Coup d’œil au chrono au terme du premier kilomètre. Je ralentis un peu pour être dans les clous : 6’39.5

Il pleut de plus en plus. J’ai les jambes lourdes. Est-ce dû à la fatigue qui me mine depuis deux jours ? Je commence déjà à envisager faire demi-tour. Mais bon, au moins atteindre le point kilométrique n°2.
Parce qu’à nouveau je ralentis dans les 25 derniers mètres : 6’38.7

Une longue ligne droite, du vent de face qui donne une certaine violence aux gouttes de pluie. Et s’il fait le même temps lors du marathon de Paris ? Allez, on ne va pas abdiquer comme ça ! Si je ne m’entraîne pas dans les conditions difficiles, cela ne sera jamais facile.
Troisième kilomètre en 6’39.6. Presque parfait. Je commence à m’échauffer, ça me redonne un peu le moral.

Quatrième kilomètre ardu : il pleut de plus en plus fort, je n’ai pas l’équipement adéquat et surtout je suis couvert façon hivernale et la température est bien remontée. J’ai donc trop chaud. La route est inondée, je dois slalomer pour éviter les flaques. Et les autos. Je croise à nouveau mon marcheur habituel. Je reste ébahi par sa vitesse. Je n’arrive cependant pas à trouver la marche athlétique gracieuse.
Point 4 en 6’38.3. Cette fois je n’ai pas eu à ralentir, j’ai trouvé le bon tempo.

Nouvelle longue ligne droite. Un abruti en Fiat Punto rouge qui dépasse les deux autos qui me croisent et qui ont pourtant mis leur clignotant pour indiquer qu’elles s’écartent pour m’éviter. Court instant de vigilance : je m’attends à ce que la Punto termine au fossé car les deux autres autos gardent leurs trajectoires. Coup de klaxon appuyé. Ouf ! C’est passé. Mais franchement sur une telle départementale, est-il besoin de doubler ?
La pluie bien de face. La vision devient mauvaise du fait des lunettes. Voilà plus d’un kilomètre que j’avance en regardant mes pieds. Pas très enchanteur !
Deux cent mètres de montée. Tenter de garder le rythme. 6’39.5 au km. Parfait sauf que les jambes me semblent lourdes et que j’ai les pieds trempés.

La pluie pianote sur mon chronomètre et change les fonctions. Manquait plus que cela ! Bref arrêt, ôter les gants, réactiver les fonctions, renfiler les gants, repartir. J’allonge la foulée pour rattraper le temps perdu. Heureusement, c’est une longue portion en faux plat descendant. Avec le vent latéral arrière. Et une pluie de plus en plus intense.
6’32.3 au sixième kilomètre. Aïe ! Trop rapide. J’essaye de garder gravée en moi la phrase d’Alain Mimoun : « Savoir courir lentement pour pouvoir courir vite. »

Une silhouette dans la campagne en face de moi. C’est rassurant, il n’y a pas que moi et le marcheur athlétique pour braver ainsi les éléments. C’est bête, mais ça fait plaisir au moral que de croiser quelqu’un. Surtout que ce dimanche matin, les cyclistes ont déserté le goudron. Nous ne nous croiserons cependant pas : ma route bifurque à gauche.
Fin du 7ème km : 6’18.0. Ouhlà ! Pas bon du tout ça. Le rythme est beaucoup trop élevé. La faute au vent et le faux-plat descendant ?

Je décide donc de ralentir. Sauf que le joggeur a bifurqué comme moi et il me suit à trente mètres. Regain d’orgueil –ou simple bêtise ?–, je garde le même tempo pour ne pas être rattrapé dans la courte montée qui s’annonce.
Sommet de la côte, j’ai doublé mon avance sur mon suiveur. Bifurcation à droite. Mimoun se rappelle à moi : « Lentement ! ». Je ralentis. Une minute plus tard, j’entends des pas dans mon dos. Le joggeur m’a recollé à la faveur de la descente. Bon, je m’en moque, j’ai décidé de rentrer et de ne pas aller au terme des 24 km : je suis trempé, les embarras gastriques rappellent leur existence et surtout la méforme du départ dont le docteur me dit de me méfier. Je sortirai demain si santé et météo le permettent.
– Bonjour ! 
Bonjour ! Mon suiveur me dépasse. C’est une suiveuse.
Drôles de conditions pour une sortie !
Oui, je me suis trop couverte !
Fin de la discussion, elle est cinq mètres devant moi. Pour une fois, le dicton de Mimoun est plus fort que l’orgueil. Enfin, pas complètement : 6’23.6 au 8e km. Ce n’est plus du tout de l’endurance fondamentale. Déjà qu’en 6’40, cela n’était pas franchement le cas …

Obliquer à droite pour rentrer ou poursuivre le tracé prévu ? Je suis maintenant bien chaud, mais totalement trempé. Courte hésitation. La raison l’emporte : l’état global ne joue pas en faveur d’un 24 km.
Dernier kilomètre en 6’35.7

Neuf kilomètres en 59’07. Ça donne 6’33 au km. Exercice un peu raté, même si cela ne représente que 53 secondes d’avance sur le temps idéal, ce sont 53 secondes de trop. Je retenterai demain. Si forme et conditions climatiques sont en ma faveur.

Objectif trail

Lundi 21 janvier 2013, c'est parti pour un entraînement trail !

Dans les objectifs que je me suis fixés à l'automne 2012 lorsque j'ai repris la course à pied, et dans l'optique des 100 km de Millau fin septembre, j'ai posé un trail de 63 km dans l'Yonne début mai. Sauf que des courses en nature, je n'en ai plus fait depuis 1987, à l'époque du Challenger's Trophy. Il est en temps de m'y préparer, courir avec un sac à dos est un autre exercice et tout est à tester : les chaussures, choisies spécifiquement pour ce type de randonnée, le sac à dos et son chargement (je veux emporter un appareil photo). Je commence donc ce lundi par un 17 km avec un mix sentiers/goudron et quelques collines. Les conditions ne sont pas idéales puisque la neige s'est invitée.
Bilan de la sortie : j'avance trop vite (impossible de tenir ce rythme sur 63 km), je dois mieux emballer ce que je transporte (les sucres et gâteux jouent les castagnettes dans leurs boîtes et c'est vite insupportable), et l'utilisation d'un appareil photo n'est sûrement pas compatible avec les barrières horaires imposées sur ce type d'épreuve.



3 mai 2013

J'ai couru les dix kilomètres de Paris 14e.


Je rejoins Paris en tout début d'après-midi le samedi 19 janvier. La traversée en TER de la Picardie recouverte de blanc distille des odeurs de voyage dépaysant.
Place Denfert-Rochereau immaculée de blanc. Bruits feutrés. Direction rue Mouton-Duvernet, les passants avancent précautionneusement. Le retrait des dossards se fait au ... tribunal d’instance. Plafonds démesurément hauts et silence de circonstance malgré une trentaine de sportifs. Un vieux tableau d’écolier en travers du hall d’entrée. Deux mille quarante huit noms imprimés alphabétiquement sur des feuilles A4. Feuille 1, dossard 1669, c’est moi. Un bénévole échange mon autorisation médicale contre un dossard et une puce électronique siglée au logo de l’épreuve. Original souvenir !
La ligne de départ est recouverte de neige plus ou moins damée. Au vu des conditions, je me dis que les cantonniers vont sévèrement bosser durant la nuit pour rendre le goudron utilisable. J'ai oublié que les cantonniers n'existent plus…
Retour place Denfert Rochereau. Photo souvenir, je n’ai plus vu Paris aussi blanc depuis 1987. Les Parisiennes en collant et parapluie sous la neige sont toujours aussi charmantes. I love Paris so much.



Fin d’après-midi tranquille avec Matthias sans accès à mes mails. Dîner dans un resto chinois : pas cher et surtout pratique pour moi qui compose un plat correspond à ce que mon estomac demande pour l’épreuve du lendemain. Je mets l’accent sur la variété : poulet grillé, poulet macéré, beignets de poulet et poulet … tandoori. C’est indien, ça, non ?
Coucher dès 21h30, histoire d’être en forme le lendemain, la migraine ne m’ayant pas épargné de la journée.

Dimanche matin, lever 06h30. Oufti! C’est que la neige est tombée toute la nuit !!! Je loge dans le sud de Paris, A86 et A118 absolument ni dégagées ni salées : c'est sport. C'est bon ça parce que ça échauffe bien les sens pour le 10 km !
Arrivé sur place à 08h30 rue Mouton Duvernet pour entamer mon échauffement, je remarque une absence de coureurs en phase d'échauffement et ... une certaine présence de neige. Près de dix centimètres. Course annulée. Un mail d’infos a été adressé à 21h31 la veille. Deux-trois participants râlent. Quel besoin ?



Détour dans une brasserie avec Matthias histoire de se réchauffer autour d’un chocolat et d’un café. Et retour vers le sud de Paris pour un petit footing de 8 km dans les collines de Châtenay-Malabry. Sympa. Quoique très glissant. Pas un chat sur les routes. C'est cool qu'un footing au beau milieu des rues enneigées ! Petite course avec une Mercedes dans une côte de 150 m dans une avenue Roger Salengro bien glacée. Verdict : 50 m d'avance. Pour moi.
Conclusion : une paire d’ASICS à 120 euros est bien plus efficace sur la neige qu'une Merco à 43.000 euros. Fut-elle gris métallisé.

A midi, le champagne (que Matthias a prévu pour fêter ma course) et le cassoulet (que j’ai préparé l’avant-veille pour mon hôte) sont engloutis avec un grand plaisir.

Bref : j'ai couru les 10 km de Paris 14e. 


Opération visas

Vendredi 21 décembre 2012. Etape importante : j'ai fini de tracer les tracés généraux à travers les pays visités. La phase la plus complexe débute : l'obtention des visas. 
A cette heure, j'ai besoin de quatre visas : un pour la Russie à entrées multiples, un pour le Kazakhstan, un pour le Turkménistan et un pour l'Ouzbékistan. Le plus complexe est assurément celui qui doit m'ouvrir les portes du Turkménistan. A ce jour, je n'ai jamais vu, lu ou entendu parler de quelqu'un qui aurait obtenu un visa de plus de 5 jours délivré plus de 3 mois avant son entrée sur le territoire (hormis bien sûr pour ceux qui y vont travailler). Je demande un visa de 42 jours délivré 10 mois avant l'entrée sur le territoire. Bon, certaines fois dans la vie, il faut y croire !


2 mai 2013

Mon premier 16 km


Dimanche 16 décembre 2012. Voilà, les choses sérieuses commencent. Fini les "petits" 10 km, je me suis inscrit au marathon de Paris 2013, soit 29 ans après ma première participation. Sous le regard dubitatif de mon hématologue qui reste surpris de ma capacité à enchaîner les sorties en course à pied. Bon, je ne lui ai pas encore dit que j'envisage de participer aux 100 km de Millau en septembre 2013 ... Une épreuve qui me fait rêver depuis que j'ai découvert son existence à la fin des années 80. 
Participer au MDP 2013, cela nécessite quand même quelques entraînements, et ce d'autant qu'il y a à peine six mois entre ma reprise de la course à pied et l'épreuve en elle-même. Quatre-vingt dix sorties au programme. Ce dimanche, c'est mon premier 16 km. Objectif n°1 : développer l'endurance et la régularité. Ce qui nécessite une cartographie précise pour un chronométrage efficace.



1 mai 2013

Vigie immobile

Dés juin 2012, j'ai placé mon périple sous le signe des bornes qui jalonnaient autrefois les chemins. Il y a un endroit où elles n'ont pas complètement disparu. Celle-là, de même qu'une grande partie de ses collègues, reste la vigie immobile du passage des piétons, joggeurs et pêcheurs le long du canal de la Somme.


Au hasard de mes pas : les Hortillonages


Jeudi 29 novembre 2012, neuf heures et quatre minutes. Je sors de la gare d’Amiens. Le train 48612 en provenance de Laon me débarque pour un rendez-vous qui n’aura lieu que dans quatre heures. Comment meubler tout ce temps ? J’ai remarqué que, pas très loin du centre-ville, à l’est de la cité, il existe un chemin le long de la Somme, nommé "chemin de halage". Je ne m’attends bien sûr pas à y voir des chevaux attelés à des péniches, mais le nom me plaît bien avec un petit côté désuet charmeur. Il fait très gris, pluvieux même malgré des prévisions météorologiques annonçant de rares averses. Evidemment, ce n’est pas un temps à faire du tourisme et je n’ai pas l’esprit à découvrir une ville qu’il me semble déjà bien connaître et que j’ai d’ailleurs toujours trouvée fade. Sous le gris, la compagnie de la rivière me paraît préférable pour consumer quelques heures.

Première surprise, la Somme est un ruisseau. Ou presque. Je ne sais d’où me vient cette idée, mais j’imaginais la Somme comme une "vraie" rivière. Pas un filet d’eau d’à peine vingt mètres de large. Seconde surprise, les prévisions de Météo-France sont totalement erronées. Il pleut vraiment, il fait froid. C’est l’occasion de tester le poncho acheté il y a quatre mois et jamais vraiment essayé. J’ai des chaussures de marche, mon appareil photo ; malgré le froid et la pluie je pars donc pour une promenade de plusieurs heures le long de la Somme. Et c’est là qu’apparaît la troisième surprise. Le chemin de halage me mène droit au cœur des hortillonnages, un lieu dont tout habitant de Picardie entend régulièrement parler dans les revues mensuelles du Conseil Régional et du Conseil Général. Des textes que j’avoue n’avoir jamais lus. Pour moi, hortillons rime avec folklore maraîcher. Finalement, le hasard de mes pas fait bien les choses : je vais pouvoir vérifier si mon ressenti correspond à la réalité.



Dès les premiers hectomètres, le chemin mène à une autre vie. Trop étroit pour être utilisé comme voie de circulation, il est l’apanage des joggeurs et du temps qui passe. Entretenu juste ce qu’il faut pour les quelques riverains qui l’utilisent, il est surtout à mes yeux l’image de la "vraie" vie, loin de celles des enseignes formatées que l’on rencontre dans toutes les villes d’Europe, loin de ces terrasses de café où l’on s’affiche avant de consommer, loin du bruit de la circulation et de toute vie trépidante. Là, c’est le domaine des arrières cours où s’entassent de savants fatras dont seul le propriétaire connaît –peut-être– le mode d’emploi ; fatras d’où émerge parfois une antenne satellitaire maculée de … vert-de-gris. L’image me fait sourire : elle me donne l’impression d’être un archéologue qui découvre des vestiges du XXe siècle !
C’est aussi un monde particulier où deux inconnus se saluent, à l’image de cette grand-mère autant voûtée par le poids des ans que penchée pour résister aux bourrasques de vent humide, un cabas d’un autre temps à la main et un parapluie grisonnant dans l’autre, et qui me salue d’un vigoureux « Bonjour Monsieur ! » comme si j’étais son voisin de champ. Même salut de la part d’un vieux monsieur arc-bouté à sa bêche dans son jardin. Saluts impossibles au cœur de la ville mais bien réels dès que l’on s’en écarte. Cela donne subitement l’impression d’avancer en terre connue.



Ce qui me surprend le plus, ce sont cependant les dizaines de passerelles qui surplombent un ru (que l’on nomme ici "rieu") qui longe le chemin, à l’opposé de la Somme. Il y en a de toutes formes, de toutes tailles et de tous matériaux. Arrondies en bois ou très carrées en pierres, légères en acier et rescapées d’un conte de la Belle au Bois Dormant ou brutes en béton tels des vestiges de blockhaus, certaines portent même dans leur conception la poésie d’un poème de Nerval. Le plus souvent gracieuses et légères, ces passerelles enjambent le fossé qui longe le chemin de halage pour permettre l'accès aux parcelles adjacentes. Les plus anciennes datent du XIXème siècle. Quelles soient en bois ou en fer forgé, elles sont souvent ornementées de volutes et autres éléments décoratifs, limites entre le chemin public et le domaine privé. Des grilles latérales encadrent souvent les portes pour repousser tout visiteur indésirable. Le plus marquant, c'est leur hauteur au-dessus du ru, ce qui leur donne un aspect de pont vénitien. Elles sont conçues pour les règles de la circulation sur l'eau et au passage des barques, ce qui leur impose 1,80 mètre de tirant d'air. Avec l'usage croissant des voitures au XXe siècle, un nouveau type de passerelle a vu le jour. Ce sont de véritables ponts mobiles, en bois ou en métal, qui une fois rangés à l'intérieur de la parcelle, permettent la circulation des barques dans le rieu tout en servant de parking. Des barques qui, depuis des siècles, sont uniquement réalisées pour le besoin des hortillons, du nom donné aux maraîchers dès le XVe siècle. Elles sont à fond plat car le tirant d’eau ne dépasse parfois pas cinquante centimètres. Elles mesurent jusqu’à dix mètre de longueur et peuvent porter une tonne. Elles présentent la particularité de posséder des extrémités relevées et allongées dont la forme est étudiée pour pouvoir accoster sur les parcelles sans détériorer les berges, ce qui leur vaut le nom de barque à cornets. J’aurai bien aimé en croiser une, car dix mètres de long dans des rieux qui ne font parfois qu’un mètre de large, j’ai comme un doute.
Une tonne, c’est énorme pour transporter des légumes. C’est que ces barques ne servaient pas qu’à acheminer les récoltes aux marchés locaux. Comme tous les agriculteurs, les hortillons ont saisi l'intérêt de compléter leur terre en y incorporant des substances visant à en modifier la fertilité et la rendre plus agréable à travailler. Le fumier de cheval des écuries d'Amiens fut d’abord employé au XVIIIe siècle. Ce fumier étant plutôt utile comme fertilisant que comme amendement, les paysans se tournèrent vers le fumier provenant des cultures de champignons en carrière et plus particulièrement des restes sortis des carrières, celui que l’on nomme le fumier de corps de meule. Les champignonnières de l'Oise fournirent alors au XIXe siècle le fumier aux hortillons par chemin de fer. Le fumier arrivait en gare d'Amiens, d'où des camions partaient pour ravitailler les hortillons. Ils déposaient le fumier dans les deux ports à fumier. Chaque hortillon venait avec sa barque y récupérer sa portion pour l'acheminer vers ses aires, nom que les Picards donnent aux parcelles maraîchères. Aujourd’hui, les maraîchers ont abandonné le fumier pour la vase des canaux. Bon, c’est sûrement mieux pour les odeurs ! Hormis sa valeur nutritive, cette vase étalée au sol permet surtout d’en relever le niveau et de rendre les aires moins sujettes aux inondations.



Il n’y a cependant pas que les barques des maraîchers qui circulent sur ces rus. En effet de petites grues montées sur ponton flottant utilisent aussi ces petites voies d'eau. Elles servent à l’entretien. Avec 65 kilomètres de canaux et plus de 100 kilomètres de rives, l'entretien des hortillonnages est un véritable défi, la frontière entre terre et eau étant toujours difficile à maintenir. Certaines berges sont renforcées de planches et de tôles car l'érosion rôde, notamment en période de crue, remplissant les canaux de sédiments et de débris, envasant les canaux, le site redevenant alors marais, ce qu'il était il y a plus de 2000 ans. C’est probablement à l'époque gallo-romaine que l’on commença à aménager les marais pour créer des champs utilisables pour la culture maraîchère. La légende rapporte d’ailleurs que la cathédrale d’Amiens a été bâtie en 1220 sur un champ d’artichauts légué par un couple de maraîchers.
Cet entretien des cours d’eau a été très tôt réglementé car la survie des maraîchers en dépendait. Avant la Révolution française, les moines de l'abbaye voisine de Saint-Acheul assujettissaient les hortillons à curer et faucarder les cours d'eaux. Au XIXe siècle, les propriétaires ont pris en charge l'entretien des fossés et des étangs et ils se sont regroupés en association syndicale pour assurer celui des canaux d'usage public. Organisation toujours en vigueur de nos jours. Avec toutefois quelque laisser-aller car je découvre des rieux en fort mauvais état, voire avec parfois des barques à demi immergées. Peut-être est-ce qu’en hiver l’entretien n’est pas aussi régulier qu’au printemps ?



Evidemment, c’est quand les choses commencent à devenir intéressantes que le temps manque. Malgré le temps exécrable, je trouve les lieux très photogéniques. Et ce ne sont pas de quelques heures dont j’aurai besoin, mais au moins de deux jours ! De nombreux panonceaux rappellent régulièrement l’histoire des lieux : la batellerie, l’inspiration des poètes et peintres, un vestige romain, la chasse aux gibiers d’eau, la marée (la vente des produits maraîchers au centre d’Amiens) ou les guinguettes. Et de savoir qu’aujourd'hui, à cause de l'extension urbaine, il ne reste plus que 300 des 10.000 hectares d'origine, ne me console guère. Un millier de personnes vivaient de la culture maraîchère des hortillonnages en 1906. Il n'en reste qu'une dizaine aujourd’hui. J’ai la chance d’en découvrir un, dont l’aire est cultivée en cette fin novembre d’herbacées semblables à de minis palmiers, de poireaux et de trois variétés de choux.
Ces dix maraîchers n’exploitent plus que 25 hectares, le reste des hortillonnages s'étant progressivement transformé en terrains de loisirs et de résidences secondaires, ainsi qu'en friches qui sont occupées par de nombreuses espèces sauvages qui y nichent, s'y reproduisent ou s'y nourrissent, ce qui en fait un espace d'une grande richesse écologique. D’ailleurs l'UNESCO envisage leur classement comme site d'intérêt mondial. Les poules d’eau qui y pullulent n’ont pas attendu la décision de l’UNESCO pour trouver quelque intérêt à ces lieux !



L’heure tourne, il faut penser au chemin du retour. Il pleut toujours de temps à autre. En sus, il y a maintenant du vent. Toujours quelques joggeurs, autant féminins que masculins.
Trois rencontres particulières viennent ponctuer ce retour vers Amiens. D’abord un promeneur qui à ma hauteur bougonne « Un ancien militaire ! ». Comme nous ne sommes que tous les deux à cet instant sur le chemin, je prends cette phrase pour moi et j’en déduis que l’homme s’en réfère à mes chaussures de marche, un modèle en cuir et GoreTex en usage dans la Gendarmerie Nationale et qui me permet d’enfiler des kilomètres sans devoir offrir un aspect de randonneur pour mon rendez-vous de l’après-midi. Mon pantalon est certes noir, mais il n’a rien de militaire. Ni de gendarme non plus. J’hésite à lui répondre « Ni ancien, ni militaire ! » mais ne sachant interpréter si l’auteur de la remarque est antimilitaire ou que lui-même, ancien militaire, souhaite engager la conversation, je poursuis mon chemin en silence. 
C’est la première fois en 1200 kilomètres que je croise quelqu’un sans le saluer. Phrase surprenante tout de même ! En mon for intérieur, je pense « Drôle de personnage ! ». Je ne peux m’empêcher de sourire en songeant aux nèpes (des scorpions d'eau) et aux notonectes (des insectes qui nagent sur le dos) qui vivent dans les étangs alentours dont les noms sont tout aussi étonnants que la remarque entendue.

Ma seconde rencontre est plus bucolique. Un héron s’est posé auprès d’une passerelle de l’Ile aux Cygnes. Je trouve que c’est un beau thème photographique pour clore cette marche. Il est à quinze mètres de moi, mais sans téléobjectif, je dois tenter une approche de félin pour espérer une photo convenable. Facile à concevoir, autrement plus complexe à mettre en œuvre ! Même accroupi et vêtu de bleu marine et noir, je représente forcément une masse peu agréable pour un oiseau qui au mieux mesure vingt centimètres de tour de taille … Je dois donc me contenter de l’approcher à huit mètres seulement avant qu’il ne choisisse un vol qu’il doit penser salutaire. Étonnant cette fuite car aujourd’hui cygnes comme hérons ne sont plus chassés depuis bien longtemps. Ou alors était-ce un très vieux, mais alors très vieux héron qui se souvient du temps où les lieux où il venait nicher étaient l'objet, chaque premier mardi d'août, d'une chasse très particulière.
En effet, entre Corbie et Amiens, cygnes et hérons appartenaient aux religieux et seigneurs qui exerçaient leur juridiction sur la rivière et auxquels la chasse était réservée. Cette chasse se déroulait un peu comme nos actuelles chasses avec rabatteurs. Les baillis des seigneurs et religieux, de même que les officiers de justice, rabattaient les cygnes en bateaux, vers des endroits proche du village. A une période de l’année où les jeunes ne savent pas encore voler. Les oiseaux étaient repoussés vers cette île aux Cygnes où je me trouve. Île que les gens du coin surnommaient "la Serinyne". Les petits étaient attrapés, marqués au bec du sceau de leur propriétaire, puis relâchés. Les adultes étaient ensuite tirés à l'arc. Le cygne était alors un mets très apprécié. Jusqu'à la Révolution Française, précisément jusqu'en 1786, il était d'usage d'offrir aux souverains de passage à Amiens de deux à quatre cygnes. La dernière chasse eut lieu le 5 août 1804. Peut-être mon héron de rencontre s'en souvient-il ?



La troisième rencontre est à la fois drôle et anecdotique. Au bord du chemin, un panonceau indique : « La perspective sur la cathédrale permet de mesurer l'ampleur du plus vaste édifice gothique jamais construit au XIIIe siècle. » Ma photo offre une toute autre vision : un immeuble en construction vient totalement dénaturer la vue offerte aux promeneurs un siècle plus tôt sur un édifice qui culmine à 112,70 mètres ! Dommage. Ainsi va le modernisme. Cela ne se voit pas d’où je suis, mais cette cathédrale présente une particularité. Sa flèche est en bois recouvert de plomb. Elle remplace l'ancien clocher détruit par la foudre en 1528.
Dommage aussi que je manque de temps pour m'y rendre. J'ai lu qu'un labyrinthe de faïence tracé au sol en 1220 avait pour but, en suivant son parcours, de remplacer le pèlerinage à Jérusalem ou à Saint-Jacques de Compostelle pour ceux qui ne pouvaient le faire. J'aurai pu ainsi dans la même journée découvrir les hortillonnages et accomplir les deux pèlerinages !



Midi quarante-cinq. J’ai choisi un café situé hors du centre. Je préfère les cafés qui ont une âme et pour moi les usines à café de centre-ville ont perdu toute âme depuis bien longtemps. Je commande un croque-monsieur et un café. C’est surtout l’occasion de rapidement rédiger quelques notes avant que le temps n’altère les détails de ma randonnée.
A ce moment, un timide rayon de soleil vient éclairer un présentoir en carton qui contient des bulletins de la Française des Jeux. C’est le mot "bonus" qui attire mon regard. Malgré la pluie, les nuages et le froid, ma découverte du matin n’a été que "bonus". Et les heures qui promettaient d’être longues sont passées comme sont passés les nuages pluvieux au-dessus de la capitale picarde.