30 mai 2017

Un âne encore

Voilà presque trois ans maintenant (c'était le 19 mai) que je croisais dans le nord de la France, plus exactement à Bavay, un âne (et sa maîtresse) qui se rendait à Vézelay. Cette fois, c'est sur le pas de ma cathédrale que Bonhomme – c'est son nom – va sommeiller quelques minutes tandis que ses maîtres s'en vont visiter l'intérieur de Saint-Gervais-et-Saint-Protais, un édifice catholique romain de style gothique classique.
Si l'âne de Bavay faisait un trajet nord-sud, celui-ci s'en vient de l'est pour aller vers l'ouest puisqu'il est parti de Gérardmer dans les Vosges pour rejoindre l'Atlantique à Nantes, soit environ 1.750 km. Lentement, à l'image de l'étape du jour qui le conduit de Belleu à Cuisy-en-Almont (12 km), pour prendre le temps de sentir les terres traversées et visiter, laissant pas mal d'étonnement sur le visage des Soissonnais croisés, notamment lors de la halte en plein centre-ville au magasin Carrefour City.



Le passage inattendu de cet âne est l'occasion d'écrire que si ce blog n'est pas franchement tenu à jour (doux euphémisme !), le projet vers Samarkand n'est pas du tout tombé aux oubliettes mais que le temps manque pour publier ici.

15 novembre 2015

Non, je n'ai pas marché aujourd'hui

Ainsi mes amis ou les amis de mes amis, qu’ils soient artiste, chef d’entreprise, chômeur, collégien, commercial, élu, employé, enseignant, étudiant, gendarme, infirmier, journaliste, juriste, lycéen, médecin, ouvrier, photographe, pilote automobile, policier, pompier, secrétaire ou sportif, de 14 à 72 ans, qu'ils soient algérien, allemand, américain, australien, belge, britannique, canadien, espagnol, français, italien, libanais, lituanien, néerlandais, suisse, syrien ou tchèque, ont-ils modifié leur photo de profil Facebook en souvenir, en hommage ou en dénonciation des attentats du vendredi 13 à Paris.
Dans une de ces 888 publications que j’ai réunies dans une affiche, Sandrine écrit : « Je choisis la paix et je fais tout pour ».
Ce dimanche, le maire de ma commune, qui a lui aussi paré aux couleurs de la France sa photo de profil Facebook, nous a-t-il invité à nous réunir à dix heures pour une marche silencieuse et solidaire.
Après une longue réflexion, je n’y suis pas allé.

Pourtant, j’ai toujours tout fait pour la paix. Tout et peut-être même un peu plus.
Lycéen, je faisais des sit-in dans l’établissement pour protester contre la guerre au Vietnam, ce qui m’a valu quelques punitions et réprimandes. Plus tard, en faculté, j’ai manifesté contre l’invasion russe en Afghanistan, ce devant l’indifférence générale de mes camarades qui me rétorquaient « Non, mais franchement, qu’est-ce qu’on en a à foutre des Afghans ?! ». Plus tard encore, j’ai dénoncé les invasions israélienne et syrienne au Liban, je m’y suis rendu pour décrire la vie dans les camps palestiniens et j’y ai même été arrêté. Plus tard encore, des dizaines de fois, avec femme et enfant, j’ai participé à des rassemblements hebdomadaires sur la place principale de ma commune pour protester contre les guerres en ex-Yougoslavie, et ce qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Quelques mois plus tard, j’ai écrit sur le génocide rwandais durant lequel j’ai perdu un camarade photographe. Dix ans plus tard, je me suis engagé contre la guerre en Afghanistan, et plus ardemment encore investi contre la guerre en Irak manifestant je ne sais plus combien de fois, dessinant des affiches, puis militant fort pour la libération des journalistes alors emprisonnés, prenant à plusieurs reprises la parole sur la scène du Centre Culturel local avant concerts ou représentations afin que l’oubli ne les ensevelisse pas encore un peu plus. Evidemment, j’ai défilé le 11 janvier 2015, comme des millions de gens dans le monde, avec tout de même en tête un certain « Plus jamais ça ! », même si une petite voix dans ma tête me rappelait que j’étais déjà aux rassemblements de la rue Marbeuf en 1982 ou de la rue de Rennes en 1985 suite aux attentats du Hezbollah. Et ce dimanche 15 novembre, me voilà à nouveau appelé à défiler suite aux carnages parisiens.

Pourtant l’État Islamique d’aujourd’hui et ses fâcheuses conséquences pour les Parisiens, mais aussi pour les Turcs, les Russes, les Libanais, les Egyptiens sans oublier ceux qui sont aux premières loges de l’horreur, les Irakiens, les Kurdes et les Syriens, ne sont-ils pas la suite logique de ce qui s’est passé depuis des décennies avec la guerre Iran-Irak, l’instabilité palestinienne et libanaise et plus encore l’invasion américaine en Irak en 2003 et la déstabilisation de la Libye en 2013 ? Contre tout cela, j’ai manifesté, sentant bien que personne ne se préoccupait de l’après. Et voilà que cet après vient pulvériser brutalement notre porte ce vendredi. Une porte à laquelle il me semble qu’il avait déjà toqué à Toulouse et Montauban en 2012, à Bruxelles en 2013, et bien sûr à Paris le 7 janvier dernier.

Comme beaucoup, j’ai pleuré vendredi soir. Ras-le-bol de revivre la rue Marbeuf en 1982, l’Hôtel de Ville et la rue de Rennes en 1985, les Champs-Elysées en 1986, Saint-Michel et avenue d’Italie en 1995, Charlie-Hebdo et l’Hyper Casher en 2015 !
Tout mon passé de militant m’est revenu en mémoire. A quoi ont servi mes kilomètres parcourus, mes affiches, mes prises de parole et mes récentes argumentations sur les réseaux sociaux contre le racisme, la guerre et l’intolérance ? N’ai-je donc tant manifesté, protesté et milité pour rien ?
Tout comme en janvier dernier, les racistes et les xénophobes retrouvent une seconde – et abjecte – nouvelle jeunesse et s’en donnent à cœur joie. Au passage, on s’en prend aux migrants. Erreur de cible ! Ces attentats de janvier (durant lesquels le parrain de ma fille aînée, dessinateur de presse, à été abattu) et ceux de vendredi m’ont rappelé ma propre histoire : j’ai perdu mes deux grands-pères dans des attentats et j’ai dû fuir du fait d’une guerre le pays où je suis né. C’est la seconde fois que ma famille doit fuir un pays, la première étant pour des raisons religieuses. Et aujourd’hui, je n’accueillerai pas ici tout comme la Suisse et la France ont accueilli ma famille à deux reprises ?
Alors, oui, pour toutes ces raisons, j’avais plutôt envie d’aller nous réunir à l’appel de mon maire.
Mais je n’y suis pas allé.
Profondément attristé, je constate que battre le pavé aujourd’hui ne sert plus à rien contre les guerres. D’ailleurs n’y avait-il pas eu des rassemblements d’ampleur pour ne pas rentrer en guerre à l’été 1914, notamment avec des manifestations massives de femmes ? 
A quoi ont servi les rassemblements du 11 janvier dernier ? Cela aurait-il changé quelque chose qu’ils n’aient pas lieu ?
Alors quoi ?
Faut-il aller faire la guerre contre l’État Islamique ? Quand on voit où mènent les guerres, on peut franchement se le demander !
Il est plus qu’urgent d’inventer des formes de lutte qui soient en concordance avec les enjeux d’aujourd’hui.
Ce dimanche, je constate que manifester ne mène à rien. Mais je ne baisse pas les bras pour autant. Je reste profondément anti-va-t’en guerre parce que l’Histoire nous montre que depuis le Vietnam cela ne sert à rien ... si ce n’est à faire en sorte que les choses empirent.
Ne croyez pas non plus qu’en ne participant pas ce matin, je me retranche dans ma tanière de vieil ours et que j’abandonne. J’ai déjà passé bien plus de temps à composer mon affiche qu’il m’aurait fallu de temps pour courir deux marathons. Dans mon salon, cette affiche sera la trace imprimée de ce vendredi néfaste (en 100 x 150 cm tout de même). En espérant que les amis et les amis de mes amis auront le courage de ne pas céder à la tentation de la guerre, de la vengeance, de la haine et du refus de l’autre, fut-il croyant en une autre religion, dût-il s’exprimer dans une autre langue.

Cette mosaïque de 888 photos de profil est parlante. Certes, c’est joli. Mais quand on regarde d’un peu plus près, hormis quelques dissonances, tout le monde fait comme tout le monde. Pour se donner bonne conscience ?
Que restera t’il de tout cela dans une semaine, dans un mois ? Je constate déjà qu’en écrivant ces mots, beaucoup ont déjà rétabli leur ancienne photo de profil.



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Six mois exactement après les attaques de janvier 2015, j’écrivais déjà : « Rendez-vous au prochain attentat ? ». Voilà, nous y sommes, oiseau de mauvais augure que je fus !
Comme j’aurai tant voulu avoir tort !

Voilà, je n'ai pas marché aujourd'hui. Je n'ai pas couru non plus.

23 août 2015

La liberté au bout du pied

Dimanche 27 octobre 2013, je range mes baskets sans deviner que cet acte de la vie particulièrement anodin – même si je viens de courir en solitaire la distance d’un marathon en conditions de course – est le dernier avant bien longtemps. 
Après un marathon, il est d’usage de se reposer quelques jours avant de rechausser les baskets. Aussi me suis-je reposé. Avec la chute des feuilles automnales, comme par mimétisme, la proportion de globules rouges dans mon sang a baissé sèchement, sans même les quelques hésitations habituelles de la feuille d’automne en chute, tandis qu’en corollaire, les globules blancs de mon sang se croyaient en euphorie à la Bourse et créaient une bulle qu’il devenait urgent de crever. S’en suivirent de long mois de chimiothérapie durant lesquels les médecins répétaient jusqu’à plus soif que le sport « C’est mal ! ». Certes, c’est mal. Mais marcher ou randonner ? « C’est mal aussi ! ». Ah ?! Parle toujours mon coco, je pense qu’avant d’être mauvais pour mon corps, c’est surtout bon pour mon moral. Ce type de réflexion émanant d’un interne ou d’un spécialiste qui fume me laisse aussi avec un sourire narquois aux coins des lèvres. « Et fumer, c’est bien peut-être pour la santé ? »






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Je me suis fixé pour ligne d’horizon de rejoindre le départ des cent kilomètres de Millau le 26 septembre 2015. Et chaque jour, que ce soit dans le froid, sous la pluie, dans le vent ou dans un couloir de CHU, j’ai tenté malgré tout de marcher puisque la course m’était interdite. Pas facile de déambuler avec une perfusion, même si elle est fixée à un déambulateur. Pas facile non plus d’avancer quand la fatigue engendre des vertiges incessants. Pas facile aussi de trouver le temps de se déplacer quand le sommeil occupe jusqu’aux deux tiers de la journée. Parce que oui, je peux en témoigner, une chimiothérapie, ça met parfois sacrément par terre. 
« Mais monsieur, je vous rappelle que l’on ne vous a pas injecté de l’aspirine ! » m’a répondu mon hématologue le jour où j’ai trop insisté sur la fatigue entraînée par mon traitement. 
Les semaines ont filé. Les mois aussi. Les crabes ont un peu profité de ma carcasse, y trouvant visiblement quelque confort – alors que je ne possède aucune étoile ni avis positif ni le moindre épi puisque je ne suis référencé ni sur Booking.com, GitesdeFrance.fr ou Trivago.fr –, ce qui a entraîné un second traitement puis une opération au niveau du rectum pour chasser quelques tumeurs. Des traitements qui ont réussi. Sauf en ce qui concerne ma leucémie, un modèle atypique dans le catalogue des mille deux cents variantes disponibles sur le marché. Une variante que l’on ne sait pas encore éradiquer. Tout au plus sait-on gérer les crises et ramener les globules blancs dans des critères acceptables.
Malgré les semaines et les mois, j’ai pourtant chaque jour gardé l’objectif de Millau, même les jours où mes déplacements se limitaient au quatuor chambre-salle de bains-cuisine-salon. Et le reste du temps, que ce soit sur du carrelage, du ciment, du gazon, du goudron, du linoléum, de la moquette, des pavés, de la pelouse, une route, un sentier, de la terre ou un trottoir, j’ai tenté malgré tout de continuer à marcher. 









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En ne retenant que les distances supérieures à mille mètres, je parviens bon an mal an au fil des mois à parcourir entre 52 et 120 kilomètres de marche. Malheureusement, sans pouvoir reprendre la course à pied. Malgré l’envie et la détermination est venu le moment où j’ai dû me résoudre à renoncer à m’aligner au départ de la 44e édition de la mythique course aveyronnaise. Parce que mon état ne permettait ni d’envisager de procéder aux entraînements nécessaire, ni de pouvoir prétendre à la délivrance d’un certificat médical permettant de m’y inscrire. Les derniers aléas de santé m’ont obligé à fixer un nouveau cap. Et une randonnée de 25 kilomètres il y a dix jours sur les boulevards des maréchaux parisiens m’a conforté que la course à pied redevenait possible. Aujourd’hui débute un nouveau chemin. Je me trouve à 400 jours exactement de la 45e édition des 100 kilomètres de Millau en septembre 2016. Après avoir trop longtemps marché, j’ai ce dimanche matin rechaussé mes baskets pour un footing de 14,8 kilomètres. Deux petites heures mais un immense sentiment de plénitude. Et fuck les « C’est mal ! ».




( Inconnue parisienne croisée rue Ordener le 11 août 2015 lors d'une randonnée de 24,7 km)

3 janvier 2015

18 août 2014

Coquinet voit le jour !

Avec un certain retard, le texte de la mi-janvier 2014 a (enfin !) été publié. C'est ici.



8 juin 2014

Du blé et du vin

Aujourd'hui, j'ai réalisé ma 138e carte, la première en Moldavie. Celle qui me mènera en juin 2017 de Giurgiulesti à Vulcănesti, du sud-ouest au nord-est de la province de Găgăuzia. 
Une carte gigantesque : 687,5 km² représentés au dix millième. Quatre heures de travail. Une étape de 35,1 kilomètres. Avec une particularité que je n'imaginais pas en Europe : que des champs à perte de vue. Pas de station-service. Pas plus d'abribus. Pas le moindre petit village. Pas une ferme non plus durant 35.100 mètres de trajet avec d'interminables lignes droites. Rien. Enfin rien d'autre que des cultures. 




Et quelles cultures ! Des champs de 700 à 1200 hectares. A comparer avec la Roumanie voisine où 80 pour cent des exploitations font moins de 5 ha. En France en 2010, la taille moyenne d'une exploitation agricole était de 60 ha. En Beauce, plaine céréalière par excellence, une exploitation compte 70 hectares en moyenne. Là, dans le Găgăuzia, c'est un seul champ qui mesure 750 ha. Ou 1000. J'en ai repéré un de 1250 ha le long de mon chemin (1650 m de long x 750 de large !). Cela promet de sacrés clichés. Sauf que c'est plat. Terriblement plat. A dire vrai, je ne m'imaginais pas la Moldavie comme cela. Peut-être suis-je resté marqué par les images d'Hergé dans Tintin en Syldavie du Sceptre d'Ottokar ?





Pourtant, le plus original de cette 138e étape réside peut-être à Vulcanești : une fabrica de vinuri. En français, c'est un établissement vinicole. Comment font les Moldaves pour produire du vin au beau milieu de 1000 km² de céréales ? 
Et bien, dans des champs évidemment. Au milieu des céréales. Pas très conventionnel pour le Français lambda que je suis qui n'imagine pas de vin sans coteaux. Quant au goût, j'avoue mon impatience à découvrir cela ! En tout cas, la fabrica de vinuri est de taille conséquente comme le montre l'image satellitaire : on y distingue clairement les cuves de stockage (en plein soleil !) de même que les alignements de tonneaux (entre les deux bâtiments blancs et toujours ... en plein soleil).





De part et d'autre de cette culture céréalière de 650 mètres de large, ce sont bien des vignes. En parcelles de 10.000 m² tracées au cordeau. La culture industrialisée en quelque sorte ...



19 mai 2014

Un âne, et la marche à pied.

Un lundi ensoleillé à Bavay, une cité ensoleillée du département du Nord, qui possède encore une brasserie artisanale où l'on y produit une bière de garde qui date du tout début du XVIe siècle. Mais une production que l'on ne peut cependant consommer au Havanitos, le bar de la principale (et unique ?) place de la cité. Un comble !
La brasserie est bâtie sur des fondations datant de l'époque romaine. L'époque romaine qui a fait la renommée du lieu du temps où il se nommait Bagacum Nervorium. Bon, du chef-lieu du peuple des Nerviens implanté entre 19 et 15 avant J.-C. et de son gigantesque forum (220 m x 110), il ne reste que des ruines. Un peu comme les bières artisanales qui étaient autrefois produites dans quatre brasseries locales. Cela attire cependant quelques visiteurs dont cette dame, partie de Bruxelles il y a un certain temps, pour rejoindre Vézelay en Bourgogne, 400 kilomètres plus au sud en ... un certain temps. A pied, avec un âne pour porter son barda. Les étapes sont courtes car l'animal rechigne au-delà de 15 kilomètres. Mais le cœur, l'envie de découvrir et l'enthousiasme compensent la lenteur. Moi qui me posait la question de savoir si je pouvais voyager avec un baudet du Poitou, me voilà renseigné !



11 février 2014

Je marche seul (1 – J'irai dormir chez Coquinet)

Avec mon bâton de bois et ma tenue qui s’apparente à un marcheur helvétique ou bavarois, j’ai sûrement l’air incongru, hors du temps. Mais les personnes qui seraient amenées à penser cela sont très rares dans les rues en cette matinée brumeuse et froide de la mi-janvier. Mes idées divaguent en tout sens. Je ressens aussi un peu d’appréhension. Voilà soixante jours que je n’ai pas dépassé dix kilomètres et je m’élance pour trente-deux. Certes en marchant, mais trente-deux quand même. J’essaye d’imaginer quel sera mon état d’esprit, quand, dans trois ans, sur ces mêmes chemins, je m’élancerai vraiment. Mais c’est impossible. D’ailleurs, je n’ai pas l’impression d’être parti du fait de ces maisons, carrefours et avenues familières que je parcours durant les premiers kilomètres.

Ce départ ce jour répond à plusieurs impératifs. D’abord celui  de m’évader l’esprit alors que je viens d’entamer un processus médical visant à éradiquer un cancer. J’avoue quelque appréhension et j’ai pensé que la marche pouvait être le meilleur exutoire possible. Ensuite, voilà presque un mois que j’ai entamé la réalisation des parcours au dix-millième de mon futur projet et je me dois de vérifier sa faisabilité, c’est-à-dire cheminer vingt-cinq à trente kilomètres par jour six jours par semaine. Je n’ai encore jamais réalisé ce genre de choses, il est alors bon de vérifier si c’est faisable tout en faisant photographies et prises de notes tout en gardant du temps pour des rencontres et des interviews. Sur ce point, j’ai besoin de me convaincre quoique de nombreux ouvrages que j’ai lus m’aient déjà assuré de cela. Je pars ce matin sur le trajet exact de la première étape, celle qui me conduit dans le sud-est du département, à travers une campagne peu boisée vers Fère-en-Tardenois, la cité natale de Camille Claudel dont l’emblème héraldique est composée d’un fer à cheval, ce qui, je le souhaite, devrait me porter chance sur le plan de la météorologie puisque je m’élance pour cette randonnée au beau milieu de l’hiver.

Au terme d’une quarantaine de minutes de marche, je cherche un banc afin de m’asseoir pour noter quelques idées avant qu’elles ne s’échappent. Voilà bien les villes modernes ! Il n’y a plus aucun banc. Je viens de parcourir trois mille mètres en pleine ville et je n’ai croisé aucun banc. Quel triste constat ! Plus rien n’est conçu pour le marcheur. D’ailleurs, même si l’heure est matinale, je n’ai vu aucun piéton. Un petit muret moussu sera le bienvenu. Ce qui me fait immédiatement penser à prévoir à l’avenir un petit carré de toile plastifiée car l’humidité nocturne est peu confortable à mon postérieur. Il n’y a bien sûr que les tests grandeur nature pour se rendre compte que de petites choses peuvent facilement compliquer la randonnée, la pluie ou la rosée étant souvent synonymes de menus tracas. J’en profite pour sortir mes gants, il ne fait certes pas très frais, 7°, mais le froid a toujours été un handicap majeur au niveau des mains et ce matin le brouillard donne l’illusion d’une fraîcheur plus marquée.

Voilà une heure que je marche quand j’atteins la ferme Sainte-Geneviève, en bordure du plateau. Par précaution, je suis parti de bonne heure, à 05h30, aussi est-ce en pleine nuit ou presque que je parviens, après une courte ascension en sous-bois dans un noir intense, à cette belle bâtisse fortifiée dont je ne devine que les contreforts des murs extérieurs dans le brouillard. Tout y est fort silencieux, même les chiens dorment. A partir de ce lieu, je suis certain de ne plus croiser personne. Qui s’aventurerait d’ailleurs à marcher sur le plateau picard en fin de nuit hivernale ? Brouillard plus pénombre, la visibilité est quasi nulle. Ma lampe frontale est d’un piètre secours et heureusement que j’ai privilégié les chemins vicinaux, ce qui me permet de marcher au beau milieu de la route, à peine large de deux mètres à cet endroit. Par sécurité, je porte un gilet réfléchissant, y compris sur mon sac à dos. Je découvre que dans ce cas de figure des bandeaux réfléchissant tant aux poignets qu’aux chevilles ne seraient pas inutile. Encore une idée à penser pour l’avenir !
Je cherche un coin pour m’asseoir car la courte ascension m’a un peu scié les jambes, l’ayant attaquée d’un pas trop soutenu. Cette fois, il est insensé de rêver d’un banc. Ce sera au mieux un talus, ce qui même en campagne avec des agriculteurs qui viennent grappiller le moindre mètre carré arable en bordure de goudron s’avère parfois très difficile à trouver. Ce matin, la situation se complique car l’herbe est haute et détrempée. Mon K-way fera office de support isolant. C’est là qu’intervient le fait de penser très intelligemment le rangement de son sac à dos. C’est en effet la première fois que je voyage avec un sac m’offrant une certaine autonomie : vêtements de rechange à l’étape du soir, indépendance alimentaire pour quarante-huit heures, recharges pour mes batteries photographiques, etc. Mon sac est donc copieusement garni. Et il se trouve que le K-way est placé sous les appareils photos et sous le ravitaillement. Ce qui signifie peu accessible. Et tout déballer la nuit dans l’herbe mouillée s’avère un exercice de haute voltige. Je n’ai parcouru que cinq kilomètres et voilà déjà le troisième enseignement du jour : penser à optimiser le rangement du sac. J’imagine que si les fabricants proposent des modèles avec autant de sangles extérieures, c’est évidemment pour s’en servir ! Ce que je n’ai pas fait en préparant mon sac la veille.

A 08h00, alors que le soleil est censé être levé, un brouillard tenace recouvre le plateau et altère la vision sur la départementale passablement fréquentée. Or je dois la longer durant quatre kilomètres. Constatant que certains conducteurs inconscients circulent sans même avoir allumé leurs veilleuses, je juge préférable d’attendre un peu que le brouillard se dissipe puisque aucun évitement ne s’offre à moi. Mon gilet de sécurité et mon bâton ne me sont que de peu de secours face à une voiture qui ne m’apercevrait qu’au dernier moment, quoique je marche sur le bas-côté. Aussi, je choisis de faire une pause. J’imagine que ce genre de situation se renouvellera fréquemment lors de mon futur périple et la sécurité n’ayant pas de pris, il faut que j’apprenne à prendre mon mal en patience. D’où l’intérêt de toujours commencer les étapes de bonne heure. Ce que j’ai été visiblement bien avisé de faire ce matin puisque je vais patienter ainsi près de trois-quarts d’heure avant de juger que ma sécurité est enfin assurée. J’en profite pour me restaurer un peu avant de repartir.





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Au dixième kilomètre, j’abandonne avec joie la départementale Soissons/Château-Thierry pour une route vicinale. J’étais seul marcheur sur la départementale, me voici dorénavant seul tout court. Pas un véhicule sur la route qui mène au village d’Ambrief alors que le brouillard commence à disparaître et la chaleur à remonter un peu. A l’entrée du village, trois semi-remorques blancs et flambants neufs me dépassent en prenant la direction de Chacrisse. Vision un peu surréaliste que ces trois camions MAN, aux remorques rutilantes de blanc et immatriculés en Pologne PNT 901153, PNT 901154 et PNT 901155. Des camions visiblement vides et si propres qu’ont les croirait juste sortis de l’usine. Mais que font-ils ici ? Les mystères de la mondialisation, sûrement. Un peu plus loin, une cabine France Telecom recouverte de mousse, y compris sur le combiné. Dans la brume qui envahit encore ce coin de vallée, avec quelques poules, coqs et chiens qui signalent mon passage, cette conjonction des MAN polonais et de la cabine téléphonique dresse un tableau surréaliste.

Visiblement pas âme qui vive dans le village. Un village que je connais pour y être venu en catastrophe il y a vingt-et-un an à l’occasion d’un orage dévastateur qui avait entraîné une inondation responsable de la destruction de plusieurs maisons, heureusement sans victimes. Un choc pour les habitants alors que tout le monde avait en mémoire les images de la catastrophe de Vaison-la-Romaine l’automne précédent. J’étais venu faire quelques photos et interviews pour le quotidien local. C’était un dimanche matin, les gens étaient un peu hagard, avec parfois un rez-de-chaussée en moins, une voiture entraînée cent mètres en contrebas ou une maison coupée en deux par un torrent dévastateur composé de boues et de pierres qui s’était constitué après qu’un mur ait retenu des pluies torrentielles toute la nuit avant de céder à l’heure du petit déjeuner, heureusement un dimanche matin alors que les gens sommeillaient encore dans leur lit, à l’étage. Le mur est toujours bien là, en partie reconstruit même. Plus aberrant, là où l’eau s’était accumulée est aujourd’hui bâtie une maison visiblement très récemment terminée. Le reste, tout le reste, est à l’identique, notamment la grande cuvette de champs inclinés qui a favorisé l’écoulement des eaux en 1993, mais déjà en 1988 puis plus tard en 1999, entraînant à chaque fois l’état de catastrophe naturelle. A l’endroit où le mur avait cédé, c’est aujourd’hui un peu de gazon et un étendoir à linge. Si les mêmes pluies viennent à se répéter, la géographie des lieux n’ayant pas changé, il est évident que l’eau ruissellera puis montera de la même façon, entraînant l’inondation de cette maison jusqu’au premier étage. Quant au mur, résistera t’il cette fois ? Au vu de l’histoire, qui a bien pu délivrer un tel permis de construire sans que rien n’apparaisse modifié dans la géographie des lieux ? Peut-être les gens qui savaient sont-ils partis puisque la commune a perdu un quart de sa population depuis 1999 ?




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Je quitte le plateau de labours pour rejoindre la vallée de la Crise à Chacrise. Je stoppe contre un muret à la sortie du village alors que le carillon de l’église frappe un coup pour la demie de dix heures. J’imaginais y trouver un café pour m’asseoir un instant et partager quelques impressions avec le tenancier ou d’éventuels villageois. Espoir vain. Voilà peut-être un quart de siècle qu’il n’y a plus de café dans ce village d’un peu plus de trois cent habitants. Il fut un temps où l’on trouvait ici une école communale, un maréchal-ferrant, un serrurier, un chaufournier, une sage-femme, évidemment un meunier, deux épiciers et même une auberge. C’était cependant au XIXe siècle... Aujourd’hui, tout comme à Ambrief, pas âme qui vive. L’arrêt de car est déserté, sans affichage d’horaire. Fonctionne t’il d’ailleurs encore ? Beaucoup de portails et de volets bleus, façon Ouessant. Une sonnerie de téléphone retentit derrière un carreau couvert de dentelle blanche. Personne ne décroche. Pas un chien non plus pour aboyer sur mon passage. Pas un bruit. Rien. Un village mort. Je m’attendais à être seul, d’autant que nous sommes vendredi, mais peut-être pas seul à ce point-là !

Moins de deux kilomètres plus loin, Nampteuil-sous-Muret, minuscule village niché dans le ru de Violaine, un joli nom pour un filet d’eau de quatre kilomètres qui se jette dans la Crise, un ru invisible même si la végétation ne porte encore aucune feuille. Trois chiens aboient à mon passage quand je traverse le village d’ouest en est, d’abord un labrador beige au portail d’une ferme, puis un jeune setter beige qui demande à jouer et enfin un Yorkshire qui tente visiblement de me rappeler que le panneau "Je garde la maison" s’applique bien à lui. Aucune activité dans la ferme ni aucun rideau de maison qui s’écarte ou nulle silhouette qui se devinerait derrière les voiles de tissus. Les chiens aboient dans le vide. Pas de café non plus comme je l’espérais. Là, j’étais vraiment crédule puisque l’auberge-cabaret a fermé du fait de la Première Guerre mondiale et la disparition de la moitié des habitants de la commune. Un panonceau "Balades dans l’Aisne" se tient stoïque à côté de la mairie et d’une fontaine où il est indiqué "eau non potable". J’ai toujours pensé que la gestion de l’eau serait le problème numéro un de mon projet pédestre ; cela se confirme dès les premières heures d’un cheminement en France. Quant au panonceau pédestre, il est vrai que du fait de ses typiques maisons à pas de moineau le village est le point de départ d’un petit circuit de quatre heures qui reçoit quelques visites durant l’été. En hiver, évidemment, nul randonneur. Le chant d’un coq se fait entendre au loin. Pas de rencontre humaine. Encore un village désert. Le banc à côté de la fontaine aurait été le bienvenu si la pluie de la nuit cumulée aux rigueurs hivernales et un entretien sûrement inexistant depuis de nombreuses années ne l’avaient rendu impropre à l’utilisation. Je n’espère plus alors que le village suivant, Maast-et-Violaine, soit plus accueillant. Chemin faisant, je me détourne un peu de mon trajet pour rejoindre le lavoir de Chantereine où j’aperçois une aire de pique-nique. Le lavoir, remis à neuf quelques années plus tôt, est alimenté par un mince filet d’eau qui sourde des collines pour se jeter dans le ru de Violaine. L’eau est claire mais est-elle potable ? Je préfère ne pas tenter. Du fait d’une mousse qui visiblement a trouvé un terrain fertile, les bancs s’avèrent tout aussi impraticables que l’était celui de Nampteuil. Dommage, le lieu aurait été parfait pour déjeuner. Tant pis ! Je patienterai jusqu’au prochain village.





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Maast-et-Violaine paraissant au premier abord autant désert et sans commerce de boissons que les villages précédemment traversés, je choisis de stopper dès l’entrée du village, à l’arrêt de car, afin de profiter d’un abri sec à l’écart du vent. C’est alors que passe une voiture, la première que je rencontre depuis mes trois camions polonais il y a plus de deux heures. Je songe que s’il m’était arrivé quelque chose, une chute un peu sévère sans possibilité d’utiliser mon téléphone mobile, j’avais peu de chances d’être rapidement secouru. Quand je pense que mon docteur m’interdit tout séjour à l’étranger parce que je peux rapidement me trouver loin d’un hôpital ! Cette pensée me fait sourire : me voilà à peine à quinze kilomètres d’une ville de trente mille habitants et pourtant en plein désert !
Cet arrêt de car est le bienvenu. J’ai déjà parcouru plus de dix-neuf kilomètres depuis la porte de mon appartement, un casse-croûte sera le bienvenu d’autant que mes jambes fatiguent un peu. Sûrement le poids du sac puisque voilà quinze ans que je n’ai pas avancé avec un sac aussi lourd sur le dos. J’ai quinze ans de plus et cela se ressent. Je constate que j’ai oublié les œufs durs que j’ai préparés, mais cela me rassure pourtant : je sais que l’on oublie toujours quelque chose quand on part et je préfère que cela soit cela puisque cela n’aura pas d’incidence sur la suite de mon trajet ! Un sandwiche au saucisson sec et vingt centilitres de soda suffiront à étancher ma faim. Je n’ai en fait pas très faim. Si je n’ai plus mes jambes de Millau, j’en ai au moins gardé le caractère chameau. Je repars donc quinze minutes à peine après m’être assis, direction Arcy-Sainte-Restitue où j’espère cette fois bien trouver un troquet. Je ne sais pas pourquoi, mais depuis le départ, j’ai envie de capter l’ambiance des coins traversés au travers de ce qui se passe dans les cafés. Cette envie ne date pas d’aujourd’hui et quelques souvenirs marquants de voyage l’ont été dans des estaminets perdus en Asie, au Moyen Orient ou quelque part au fond de la Bourgogne.







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Au vingt-deuxième kilomètre, une crampe douloureuse apparaît soudainement à la jambe droite alors que je m’apprête à traverser une route au trafic soutenu. Je vois le moment où je vais pour m’effondrer au beau milieu de la chaussée mais je parviens heureusement à rejoindre le côté opposé de la chaussée en claudiquant et grimaçant. C’est la première fois que j’éprouve une crampe en marchant ou en courant. Est-ce dû à mon sang altéré comme jamais ? Personne ne m’a parlé de cet éventuel symptôme. Je n’ai d’autant rien pour me soigner que cela ne m’est jamais arrivé. Autant le sérum anti-venin me semble obligatoire à porter en permanence, autant il faudra que je me résolve à avoir avec moi une crème myorelaxante. La douleur s’estompant mais ne disparaissant pas, je reprends ma progression en espérant cette fois fortement qu’il existe bien un café à Arcy.

A 13h20, je touche enfin Arcy-Sainte-Restitue dont le clocher de l’église me sert de guide depuis déjà un bon moment. J’en suis à mon vingt-quatrième kilomètre et j’ai près de deux heures trente d’avance sur mon horaire, l’occasion de faire une belle halte. Dès les premières maisons, un bruit de tronçonneuse se fait entendre. En bord de route, une femme décharge une voiture alors que de l’autre côté de la route, sur un panneau ont été récemment collées deux affiches du Front National. Youpi, y’a de la vie dans ce bourg, cela fleure bon le café sur la place centrale ! Sauf que, plus j’avance dans le village, plus je déchante. C’est d’abord une maison en partie abandonnée, puis une maison à vendre depuis fort longtemps au vu de l’usure du panneau de l’agence immobilière qui montre la désertification rurale. Suivent les traces de ce qui dut être un garage automobile cinquante ans plus tôt et dont le bâtiment n’a plus de fonction depuis bien longtemps. Enfin, sur la place centrale, le Prince’s Beer est visiblement fermé depuis aussi longtemps qu’est décédé celui qui a laissé son nom à cette place, le Général de Gaulle. Par conséquent, point de café. Et rien maintenant avant huit kilomètres. Je m’assieds sur un banc, personne ne passe. Je bois un peu d’eau des fois que ma crampe légèrement persistante soit le fait d’un manque d’eau, je photographie le lavoir, je cherche un peu de vie dans les rues adjacentes. Au loin, la tronçonneuse s’est tue. Une vieille fourgonnette Simca traverse le village à vive allure. J’imagine, comme dans les romans d’épouvante, quelque fantôme m’observant derrière les volets d’une maison qui paraît abandonnée. Un volet qui crisse serait à cet instant presque synonyme de vie ! Mais non, rien. Je m’attendais à un certain abandon rural, j’ai déjà écrit quelques articles à ce sujet au début des années quatre-vingt dix, mais vide de vie à ce point, pas vraiment. Et surtout pas si proche d’une ville de taille moyenne. Alors je reprends ma route après un ultime détour où je passe à côté d’une serrurerie qui semble aussi éteinte que le Prince’s Beer.






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Mon trajet longe durant plusieurs kilomètres la route départementale en partie empruntée en matinée au sortir de Soissons. En début d’après-midi, la circulation y est bien moins soutenue qu’au commencement de la matinée. Y cheminer n’est cependant pas une partie de plaisir. Je ne peux, comme sur les routes vicinales, progresser sur le goudron et je dois me contenter des bas-côtés, peu praticables et encombrés de déchets divers, allant du morceau de pare-chocs et enjoliveurs à la canette de bière en passant par un nombre imposant de sacs plastiques divers et paquets de cigarettes vides. Ces bas-côtés sont de plus en dévers, ce qui entrave d’autant la marche. Rien n’est fait pour le piéton et peut-être suis-je même le premier piéton de l’année. Qui d’ailleurs songerait à aller de Soissons à Fère-en-Tardenois à pied, hormis moi-même ? Quant aux automobilistes, ils m’ignorent passablement. Non seulement, ils ne lèvent pas le pied, mais ils ne s’écartent pas non plus d’un centimètre, quand bien même aucun véhicule ne vient en face. Un stage "piéton" devrait être indispensable dans le permis de conduire ! J’ai déjà noté depuis longtemps que les bornes kilométriques ont disparu des routes, il m’est alors impossible de m’asseoir pour souffler. C’est vraiment « marche ou crève », et ce dans l’indifférence générale. Je n’imagine même pas ce chemin avec la neige ou sous la pluie. Sauf que voilà, il n’est pas simple de bannir ce genre de route pour aller d’un point à un autre. Ce passage de quatre kilomètres est en conséquence un mauvais moment à passer, les sens étant totalement accaparés par la notion de sécurité car un véhicule qui passe à cent à l’heure à moins d’un mètre d’un piéton, cela reste une situation hautement accidentogène. Le panneau d’entrée de ville de Fère-en-Tardenois apparaît comme un réel soulagement.

Alors que je retrouve avec plaisir un trottoir, je constate que j’ai bien plus mal aux jambes qu’à l’issue des cent kilomètres de Millau. Au moins une chose est sûre : je ne vais pas tarder à me coucher et je connais cette fois la cause de ma fatigue ! Sauf que le panneau d’entrée de ville, comme toujours dans les gros bourgs, marque plutôt l’entrée sur le territoire communal que l’approche du centre-ville. Loin s’en faut même pour Fère puisque je dois cheminer plus de deux mille mètres dans une zone industrialo-commerciale peu ragoûtante avant d’atteindre la ville proprement dite. Les entrées de ville sont souvent une catastrophe esthétique quand on circule en voiture, mais au pas lent du marcheur, la sensation de tristesse et de morosité est largement décuplée, surtout quand s’y greffe quelque odeur nauséeuse comme c’est le cas ce vendredi après-midi.
Au trente-deuxième kilomètre, j’échange mon premier bonjour avec un lycéen qui rentre chez lui. C’est lui qui me salue d’abord, ce qui me surprend un peu, mais je pense que dans une ville de moindre importance comme Fère-en-Tardenois avec ses 3000 habitants, on est moins sauvage que dans les grandes villes. Ce lycéen est la première personne que je rencontre en trente-deux kilomètres. Bienvenue à Solitude-Land !

A 15h40, j’atteins enfin le centre-ville de la patrie de Camille Claudel. J’avais prévu y parvenir vers 18h00. J’ai une certaine avance, due principalement au fait que je pensais discuter avec quelque agriculteur et me poser dans un café ou deux. N’ayant croisé ni les uns ni les autres, j’ai marché. Sur la place centrale, je m’assieds quelques minutes sur un banc afin de reposer mes jambes auxquelles je viens d’infliger presque huit heures de station debout ininterrompue. Puis après avoir rapidement fait le tour d’un unique triangle de rues commerçantes, je pousse la porte du bar Chez Odette.  J’ai choisi celui-ci parce qu’il est petit. Pour "sentir" une ville, les grands bar-brasserie-PMU-débit de tabac des avenues où se bousculent voyageurs de commerce et gens pressés, ne sont pas à mes yeux l’idéal. Va donc pour Odette ! Une salle chauffée et une chaise, quand on vient de passer près de neuf heures à une température maximum de neuf degrés, ça fait vraiment du bien ! Je commande un demi pression de Bofferding. Mon premier demi de l’année. Je pense que je le mérite.




Je suis satisfait car je suis tombé dans un bar avec une "atmosphère". D’abord la déco. Aux murs, roses (!), sont accrochées des photos noir et blanc de Marie Laforêt, Jean Ferrat, Serge Reggiani, Edith Piaf ou Serge Gainsbourg. Au plafond, de fausses poutres en bois et pour s’attabler, des tables recouvertes de faux marbre. Le designer des lieux n’a pas dû répondre présent bien longtemps aux cours des Beaux-Arts. Ces photographies se mêlent à des jeux de lumière, sûrement pour quelque soirée dansante le samedi soir, et à un jeu de fléchettes électronique d’une taille respectable. Pourtant, l’élément central de la pièce reste un écran géant qui diffuse BFM-TV et que personne n’écoute, d’autant que les haut-parleurs de la salle offrent les chansons d’un album de Jean Ferrat. Accoudés au bar, trois habitués parlent vivement méchoui, chasse au chevreuil, paiement de salaires impayés et … couleur de caleçons. Au même instant, sur l’écran BFM-TV, un bandeau déroulant annonce dans l’indifférence générale 1178 suppressions d’emplois à La Redoute tandis que le CAC 40 est en hausse à 4244 points. Bienvenue dans le cynisme économique ! Au-dessus, les images montrent les forces armées françaises patrouillant en Centrafrique. Ça fait un choc quand on a passé la journée en pleine campagne avec comme seule compagnie quelques bruits d’oiseaux et le silence du plateau picard. Un des gars se retourne vers moi et s’excuse des gros mots qui émaillent leur discussion. Il ajoute : « On est comme ça ici ! ». Un quatrième homme entre et après un « Bonjour ! » tonitruant lancé sur le pas de la porte s’en vient directement me serrer la main avant de rejoindre ses copains. Je reste un peu stupéfait : c’est la première fois qu’un inconnu me serre la main dans un bar ! La voix de Jean Ferrat susurre : « Que sais-tu du malheur d’aimer ? ». Je pense à Maïté, j’aimerai tant lui parler de ce voyage. Un auteur américain a écrit que pour oublier un amour, il faut en faire en livre. Quoique je n’aie pas entrepris d’ouvrage sur ce sujet, je ne suis pas persuadé que cela suffise ! La patronne, absente quand le commis m’a servi, à moins que ce ne soit un client qui m’ait servi, ce que je n’ai su déterminer, arrive et … me salue d’une vigoureuse poignée de main. Décidément ! C’est la première fois que je bénéficie d’un tel accueil dans un bar. Entre alors un grand dégarni à l’écharpe bleu clair, il salue tout le monde en citant chaque prénom puis il s’en vient vers moi pour me serrer la main. Euh … c’est la coutume du lieu ou un trait typique de la cité ? L’humanité n’a pas que des aspects négatifs, même si simultanément l’écran BFM-TV que personne ne regarde annonce un CAC 40 à 4247 points et le décès de trente insurgés lors d’une attaque de l’armée kenyane contre un camp d’entraînement shebab.

A 17h00 et trois euros versés à Sylvie qui a repris l’établissement après cinquante années de mainmise d’Odette sur l’établissement, me voilà à nouveau sur le macadam, direction mon gîte. Je constate qu’Odette est aussi un petit restaurant, attenant au bar et aux petits prix sympathiques. Je me dis que ce sera un lieu parfait pour dîner ce soir, une fois cependant déchargé de mon barda au gîte.

Mon lieu de sommeil a été déniché via Booking.com. Je ne suis pas précisément adepte de ce genre de site de réservations en ligne, mais je me suis décidé au dernier moment et j’avoue que la formule est bien pratique. Mon gîte du jour, enfin du soir, s’appelle Au Fou du Roy, situé route du château. Au bout de plus de mille mètres sur cette route, étant au sortir de la ville, je demande à un gars qui promène un grand chien noir et blanc si c’est bien la direction du Fou du Roy.
– C’est quoi ? me répond t’il
– Un gîte. Ou une chambre d’hôtes, je ne sais plus exactement.
– Je ne vois pas, me dit-il après une hésitation.
Comme j’ai vu une photo sur Booking.com, je rajoute :
– Couverte de lierre, une maison à la façade couverte de lierre !
– Ah oui, je vois ! C’est bien par là, mais il y a un petit bout de chemin !
Je souris, rassuré. Il me dévisage du haut en bas en faisant tout de même une moue dubitative, avant que je ne reprenne ma route tandis qu’il me souhaite bonne soirée. Evidemment, je ne vais pas lui dire qu’après une trentaine de kilomètres et une heure de pause chez Odette, je ne suis pas vraiment à mille mètres près. Et puis, je n’ai pas non plus la tenue d’une ballerine du bolchoï. Je ne vois pas en quoi alors je ne pourrai accomplir ce « petit bout de chemin ».
Il semble cependant rester effectivement une certaine distance puisque mille cinq mètres plus tard, je n’ai toujours pas trouvé mon Fou du Roy alors que la nuit s’avance rapidement. Mon inconnu au setter m’a-t-il vraiment donné la bonne information ? Comme ma progression se fait en sous bois longeant la route, sur un tapis d’aiguille de pins, ce n’est cependant pas désagréable, même si je m’attendais pas à cette rallonge imprévue. Enfin, un panneau estampillé "Chambre d’hôtes" indique le but. Je dois cependant parcourir trois cent mètres supplémentaires pour m’entendre dire que ce n’est pas la bonne adresse.
– C’est encore plus loin ! me répond la propriétaire du lieu qui me propose gentiment de m’y emmener en voiture. Ce que je refuse poliment, étant parti du principe que j’accomplirai mon périple à la marche, et uniquement à la marche. A pied, c’est à pied ! Je comprends cependant vite son empressement à m’y emmener : le Fou du Roy est encore à plus de mille mètres ! J’avoue que je me suis laissé abuser par une adresse, le 45 route du château, de laquelle j’avais extrapolé 450 à 500 mètres à partir du centre-ville. Sauf qu’en campagne, on numérote visiblement différemment, avec un détail négligé de ma part : le fait que le château en question, un vieux château du XIIIe siècle, est situé bien à l’extérieur de la ville de Fère-en-Tradenois. Enseignement numéro trois de la journée : attentivement vérifier avant de partir où se situe le gîte du soir parce que la distance initiale de 32 kilomètres vient de grimper à 36,4 ! La moue dubitative de l’homme au chien noir et blanc prend alors toute sa signification. Enseignement numéro quatre : toujours bien se faire préciser ce que votre interlocuteur entend par « un petit bout de chemin ». Même si, comme l’a écrit le hassidique Nahman de Bratslav : « Ne demande jamais ton chemin à quelqu’un qui le connaît car tu ne pourrais ne pas t’égarer », j’ai ce soir plus franchement envie de me perdre. Je comprends maintenant pourquoi la patronne du Fou du Roy m’avait demandé, lors de ma réservation, si je souhaitais manger sur place. Parce que là, impossible maintenant de retourner dîner chez Odette !

Enfin, dans la nuit apparaît la lumière du Fou du Roy, conforme à l’image affichée sur Booking.com. Un couple de Belges, Goedele et Marc avec Dusty, leur Golden Retriever, tiennent avec soin une maison fort confortable et spacieuse. Chaque chambre est identifiée par le nom d’un fou : Brusquet, Cathelot, Triboulet, etc. La mienne se nomme Coquinet, du nom du fou de Louis d’Orléans, le frère de Charles Ier (l’Histoire a aussi retenu un Coquinet aux côtés de Philippe le Bon). La chambre affiche des couleurs apaisantes de mauve, brun et marron. Au beau milieu du mois de janvier et en semaine, je suis le seul client.
Mon dîner, composé de quelques provisions de mon sac, sera succinct et rapide. D’abord parce que je ne peux plus dîner sur place puisque ce n’est pas prévu et qu’il est impossible de retourner chez Odette avec un aller-retour de plus de huit bornes, ensuite parce qu’il me semble que c’est la marche qui m’a le plus fatigué de ma vie. A cause du poids du sac à dos, de l’absence de tout sport depuis deux mois, de mon état sanguin ou des trois à la fois ? Peu importe, ce test est parfait car malgré la fatigue, en me glissant sous la couette et en espérant que mon fou sera sage cette nuit, les images du jour se mélangent à l’envie de déjà vivre l’étape du lendemain, une étape pourtant longue de plus de trente quatre kilomètres. Il en faut peu pour un grand plaisir !










31 décembre 2013

Longue route

Si les choses avaient été telles que je les avais imaginées à l’été 2012, je serai aujourd’hui à la veille d’une longue route. Sûrement fébrile, tendu et anxieux. A vérifier chaque détail, que tout soit bien en place. On ne s’élance pas pour 8000 kilomètres sans quelque appréhension, j’imagine.
Pourtant ce 31 décembre, point de départ à l’horizon. Les choses n’ont pas été telles qu’imaginées. Veto médical, santé défaillante et visas impossibles. La longue route pourrait maintenant débuter le 1er janvier 2017.
Point de tristesse cependant. Je sais déjà que les 36 mois à venir couleront aussi vite que les 18 écoulés car la besace des projets reste particulièrement bien garnie. Sur la route, au fil des bornes, mais aussi de l’eau.

Avancer le long d’une telle route au Turkménistan, quel plaisir !


29 octobre 2013

Comment ça, plus de compétition ?!

Réveil à cinq heures pour un petit-déjeuner succinct : un peu de brioche, deux grands verres d’eau, mon comprimé d’acide folique. Je n’ai pas très faim. Je suis dans le doute. Nuit profondément noire à cause du changement d’horaire et du plafond nuageux dense. Il y a encore quatre jours, je me faisais une joie de courir seul mon marathon toulousain en Soissonnais, même si je me doutais qu’être en performance quand on est seul, c’était un peu suicidaire. Sauf que depuis vendredi, le docteur m’a légèrement fusillé le moral. Dois-je quand même tenter ce que je n’ai pas su réussir en avril dernier à Paris quand je n’ai plus le feu vert pour courir en compétition et que je dois rester dans le raisonnable ? C’est quoi d’ailleurs le "raisonnable" quand on vient de boucler un 100 km ? En comparaison, un marathon, c’est raisonnable, non ?
Le doute et l’envie se sont donc confondus trente-six heures durant. Abdiquer ? Oui, sauf que c’est laisser gagner la maladie. Or mon hématologue m’a dit plusieurs fois qu’un malade avec un bon moral guérit mieux. Alors courir malgré tout pour conjurer le sort ? A propos de sort, et si je lançais une pièce pour que justement ce soit le sort qui décide ? Sauf que faire les choses à pile ou face, cela n’a jamais été dans mes habitudes. Questions, non réponses. Je me recouche une petite heure.

Sept heures, il pleut dehors avec du vent en bourrasques. Aïe ! Si les prévisions de température sont idéales, un marathon sous la pluie ... Ouh là là, c’est au moral qu’il va falloir avancer ...


Je commence pourtant à me préparer, comme je l’ai fait pour le marathon de Paris ou pour Millau. Faire attention aux plis des chaussettes, bien lacer les baskets, ni trop peu, ni pas assez. Dans ma tête, je suis déjà dans ma course. Mon genou droit s’est fait oublier depuis la veille au soir. A priori, le kétoprofène a bien agi. Samedi matin, sur le forum Courseepied.net, Saxo a écrit : « Pensez à vos points forts et ne vous laissez pas déborder par le doute : c'est vous face à 42,2 km, le reste ne compte plus. ». A cet instant, je ne vois pas bien mes points forts. Entraînement désordonné, santé flageolante, météo pourrie prévue pour toute la matinée, petite inquiétude du côté du ligament latéral interne droit ... Je ne suis peut-être que content de mon tee-shirt rouge criard. Petite pensée pour tous les copains du Café des Marathoniens qui s’élancent comme moi à Toulouse, Lausanne, Francfort, Strasbourg et Venise. Venise, ce doit être assez grandiose qu’un marathon dans la cité des doges ! Même sous la pluie.

Vu le veto médical et l’interdiction de courir en mode "compétition", je ne peux plus porter le dossard #1 que je m’étais confectionné pour l’occasion. Dommage ! Je trouvais cela drôle. Ne reste que la couleur rouge pour faire corps et cœur avec les copains au départ dans différentes villes d’Europe.



Huit heures moins dix. Une petite rasade d’eau sucrée et direction l’épreuve. La rue est totalement déserte, il ne peut plus mais le vent se fait bien sentir et le ciel charrie rapidement des paquets de nuages noirs. Ventre noué. Bien que je sois seul, l’appréhension est la même que si nous étions dix mille. Génial par contre pour franchir la ligne de départ pile dans la demie seconde du top départ !

Huit heures, c’est parti ! Je pense à ceux de Toulouse. Aucun échauffement. Je ne me suis de toutes façons jamais échauffé avant un marathon. Cette fois, ça devrait partir plus raisonnablement qu’à Paris ou à Millau puisque je ne risque pas d’être emporté par la foule. Erreur, le passage au premier kilomètre est ultra rapide : 5’50 alors que je visais 6’47 pour monter en température. Comme j’ai choisi d’être en negative split sur le second semi, je lève le pied. La rue est à moi, ça fait plaisir. Il n’y a jamais eu grand monde un dimanche matin à neuf heures dans les rues de cette ville ! Dès les premiers hectomètres, je devine que le vent ne sera pas mon allié. Les changements de direction sont nombreux : une fois sur deux, je prends la bourrasque en pleine tronche. Quelques gouttes de pluie au troisième kilomètre, heureusement vite disparues.

Ravito au cinquième kilomètre. C’est ma boîte aux lettres qui fait office de bénévole. Ni sexy, ni bavarde, ni même très pratique, mais bon, je n’avais pas mieux.
Je prends mon temps quoique je n’avale qu’une gorgée et deux petits carrés de pain d’épices : j’ai plus de quatre minutes d’avance sur mon souhait le moins rapide. Je suis vraiment incapable de me modérer ... Dans l’absolu, terminer en 4h55’22 ne serait pas négatif puisque c’est le maximum que je m’étais fixé pour Paris en avril. Je me suis pourtant donné une barrière plus ambitieuse, celle de flirter avec les 4h45, le temps que j’avais annoncé en mars 2013 sur le forum Courseapied. C’est donc sur cet objectif que j’ai calculé ma progression. Même si avec 141 m de dénivelé positif (pour seulement 70 à Paris), ça risque d’être assez compliqué. Le vent assez fort a écarté les nuages. Tant mieux : un peu de soleil fait son apparition.

Septième kilomètre, début des routes campagnardes. Beaucoup de vent, beaucoup de gris, soleil disparu et la pluie qui apparaît. La longue ligne droite de mille mètres pour mener à Pommiers est peu plaisante : vent de face, feuilles qui virevoltent en tous sens, bas-côtés inutilisables et autos toujours aussi rapides, mais heureusement rares. Le jour où la gendarmerie se postera dans ce bout de droite, les procès-verbaux vont tomber plus drus que les feuilles qui jonchent le sol ce matin ! La pluie redouble de plus en plus, je crois qu’il n’y a plus que mes baskets qui ne soient pas mouillées. Bizarre !
L’entrée de Pommiers, c’est le moment vraiment difficile du parcours. Une côte qui débute au sortir du pont, un virage à gauche et là, en plein champ visuel, une église à 350 m mais 31 m plus haut. Aucune auto. Tant mieux ! Je peux courir sur la route et éviter ces sorties de garage qui vallonnent le trottoir et transforment la montée en montagnes russes qui scient les jambes. J’évite aussi les flaques qui rendent le trottoir impraticable. Depuis le début de l’année, c’est peut-être la quinzième fois que je grimpe vers cette église et ... c’est toujours aussi dur. Même à Millau, le tracé n’offre pas une côte de 8,9 %. Pourquoi donc ai-je choisi ce parcours ? Trop tard pour changer ou râler ! La bifurcation à droite est mortelle, pas loin de 15 % sur 25 mètres. Heureusement que c’est presque la fin parce que je commence à m’essouffler. Coup d’œil inquiet au chrono au passage du dixième kilomètre. Ouf ! Non seulement, je n’ai pas consommé mon avance, mais je l’ai augmentée. Je sais que le faux plat qui vient puis la descente sur plus de mille mètres me permettent systématiquement de récupérer. Un peu de vent dans le dos est même le bienvenu. Au douzième kilomètre, la pluie perturbe mon chrono (tactile) qui m’enregistre successivement (et sans que je m’en aperçoive) 32 intermédiaires d’un ou deux dixièmes. Et merde ! J’oublie vite le souci en croisant trois joggeurs que j’ai déjà vus une fois ou deux. Brefs bonjours réciproques. Cinq cent mètres plus loin, je rencontre Yohan Diniz. Sa démarche caractéristique me sidère toujours autant. Ce doit être la dixième fois que je le croise depuis cet hiver, et toujours sur ce tronçon de départementale Soissons-Pommiers-Mercin. Bonjours étouffés par le vent. A l’entraînement, il va plus vite que moi en course ! Loin de me casser le moral, ça me booste. Il porte une casquette, ce qui au vu des conditions est loin d’être inutile ! Un kilomètre plus loin, un autre coureur sur une route parallèle à la mienne, un gars en jaune. Gilou ? Ah non, il est en Corse sur un trail du côté de Bonifacio. Ces rencontres furtives me mettent le sourire : je ne suis pas le seul timbré à sortir par un temps aussi pourri !
Cette fois, c’est sûr, je commence à sentir l’humidité dans mes baskets. Au début du treizième km, à l’occasion d’un rond-point, encore un autre coureur, en noir cette fois, cent mètres devant moi. Je pense à ceux de Toulouse. J’ai envie de le rattraper, mais il bifurque à droite et moi à gauche.

Second ravito au quatorzième km. Peut-être du fait des joggeurs croisés, j’ai visiblement ostensiblement augmenté mon allure : j’ai près de treize minutes d’avance sur le tempo souhaité de 4h56 !!! Je prends mon temps pour boire deux gorgées, essuyer mes lunettes, mettre ma casquette (que j’avais prévu en cas de soleil ...). Merci la boîte aux lettres. A plus tard !
Second tour en ville, toujours aussi déserte, mais de plus en plus ventée et avec de la pluie.
Déserte ? Ben non, encore un joggeur, Christian L., un gars qui a couru en VH1 le marathon de New-York il y a une douzaine d’années. Plus âgé que moi, il a encore une jolie foulée, longue et rasante. Ce genre de petite rencontre furtive fait bien plaisir au moral ... parce que la température semble avoir baissé. Je commence à ressentir le froid dans les mains. Ouh là, pas bon du tout chez moi, ça ! Je fais des ouvertures/fermetures rapides des doigts pour activer la circulation. Ça semble fonctionner. Sur le mail le long de la rivière, mon joggeur en jaune aperçu quatre kilomètres plus tôt est cette fois en mode marche.
Le passage du secteur pavé le long de la mairie avec un méchant vent de face n’est pas plus facile au second passage. J’esquive par le trottoir. Souffrir, oui, pas trop quand même ! Surtout que ces pavés soissonnais ont été taillés en 1920, ce qui les rend franchement impropres à la consommation pédestre !

La rue Deviolaine qui ramène vers le plateau est jonchée de débris d’arbres et de feuilles. J’essaye de les éviter mais le vent semble décider à me les renvoyer dans les pieds. Le passage par la rue de Paradis est difficile et la rue porte très mal son nom ! Du fait du vent violent en pleine face ? Parce que je suis parti plus rapidement que prévu ? Parce que c’est très légèrement montant sur six cent mètres ? Ou les trois conjugués ? ... Je pense que c’est déraisonnable d’avoir tenté ce solo dans de telles conditions. J’essaye de me remotiver un peu à l’occasion d’un changement de direction qui me replace dans le sens du vent. Un peu d’eau sucrée et deux petits morceaux de pain d’épices au dix-neuvième kilomètre. Par contre, le passage en ville et les bourrasques pluvieuses ont réduit mon avance à seulement cinq petites minutes.

Retour à la campagne et déjà le passage au semi-marathon : 2h23’54. Allez, du courage !!! Même si je faiblis un peu, je ne devrais pas être loin des 4h50. Sourire ... crispé. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est à cette distance que mon marathon de Paris s’est arrêté. La pluie est cette fois vraiment très violente. J’ai bien fait de mettre la casquette dont les voilettes "sahariennes" me protègent la nuque. Sur un parking de supermarché (pourtant fermé), trois personnes se débattent avec un parapluie que le vent retourne. Est-ce un temps à mettre un parapluie dehors ? Dans ma tête, une chanson de Goldman :
« Je cours seul
dans les rues qui se donnent
et la pluie me pardonne, je cours seul
en oubliant les heures ».
C’est fou comme l’esprit divague quand on court seul !

Vingt-deuxième kilomètre sous la pluie. Vingt-troisième kilomètre sous la pluie. P’tin, mais y’a pas moyen que ça cesse un peu ? Le spouilch-spouilch de mes baskets est un compagnon fort désagréable !
J’ai dû râler trop fort et Zeus a dû m’entendre : la pluie cesse sur le champ. Cette serait aussi sympa s’il pouvait demander à son pote Eole de rentrer chez lui !
Tant mieux parce que se profilent à nouveau ces 31 mètres de dénivelé au vingt-quatrième kilomètre. Cette fois, je les sens déjà nettement plus dans les cuisses. Bifurcation en épingle au sommet. Un jogger en jaune face à moi. Je repense à Gillou. Ah oui, sauf que son trail est toujours en Corse. Pas en Soissonnais !
En fait de jogger, c’est plutôt une joggeuse. Elle prend, comme moi, le léger faux plat montant. Rapides bonjours. Nous sommes côte à côte sur les 150 mètres du faux plat montant. Même foulée, même tempo respiratoire. Elle ne paraît pas mouillée, elle ne doit donc pas courir depuis bien longtemps. Une fort sympathique odeur de parfum (Guerlain ? mais je n’en suis pas certain) émane de la belle, preuve qu’elle vient de débuter sa sortie. C’est vicieux ce genre d’odeur quand on en est à un peu plus d’un demi marathon : ça donne envie de tailler la bavette avec la dame (et donc d’oublier le chrono) ou d’entraîner la miss à ses côtés (histoire d’approfondir le parfum et donc de se ressourcer de meilleure façon une fois l’arrivée franchie) ... :-)
« Pas franchement un temps pour un petit jogging !» me dit-elle au moment où débute le faux plat descendant.
- Oui, j’aimerai bien que ça cesse un peu, mon footing est loin d’être fini ! 
- Vous allez jusqu’où ?
- Je fais un circuit par Soissons, Mercin, Pommiers, Cuffies.
- Ouh là, ça fait long ça ! Combien de kilomètres ?
- 14 ! Je le fais trois fois.
- Pardon ?
- Oui. Trois fois 14. 42 kilomètres. J’aurai dû courir le marathon de Toulouse. Quelques tracas, alors je cours ici, chez moi.
- Un marathon !? ... Respect ! ... A cette allure ?
- Oui.
- Alors, je vais stopper là !
Et elle s’arrête net. Un champ à gauche, un champ à droite, des champs au loin. A nouveau, je suis seul. Merde ! Son odeur délicatement parfumée était bien sympa ! Et revoilà un peu de pluie. Au bout d’une minute, je me retourne. Elle est repartie vers le village en marchant. Dommage. C’était la seconde fois en 1031 km d’entraînement que j’échange avec un coureur rencontré sur la route.

Ravito du vingt-huitième kilomètre. Ma boîte aux lettres n’est toujours pas plus bavarde. Un peu d’eau, un morceau de sucre de canne, deux petits morceaux de pain d’épices. Dernier tour de cinq kilomètres en ville. Cette fois, le vent, toujours bien marqué, a chassé les nuages. Et le soleil est de sortie. Ouf ! Ça finissait par être usant cette pluie. J’abandonne ma casquette.

Comme ça va bien, je me dis que je peux commencer à allonger la foulée. Deux trois voitures. Un Yorkshire qu’une dame promène sans laisse m’emboîte le pas et se démène en jappant sur mes talons. Quelques cris. Le York n’en a cure. Moi aussi. D’une, j’ai horreur de ce type de chien. Deux, j’ai horreur qu’on m’aboie dessus. Trois, j’ai un chrono à tenir. Virage à droite à angle droit boulevard Jean Mermoz, le clébard toujours sur mes talons. Des cris au loin dans mon dos : « M’sieur, arrêêêêêêtez vous ! ». Je rigole en moi-même : « Ça a de l’endurance un York ? » Cinquante mètres plus loin, j’ai la réponse à ma question : c’est non. Les cris de la vieille se poursuivent étouffés en hurlant « Jappyyyyyyy !!! ». Ou un truc du genre. Quel nom stupide pour un roquet de ce type ! Ma joggeuse du dix-neuvième kilomètre était tout de même plus agréable. Quoique pas plus endurante que ce York.

Au trentième kilomètre, passé en 3h21’48, là, je me dis que les 4h45 commencent à être plus qu’envisageables. Je repense aux docteurs qui disent que je ne peux plus courir en mode soutenu ...
Bon, surtout ne pas se désunir. Quoique je ne l’aie jamais rencontré, cette histoire de "mur" au trentième me trotte un peu dans la tête. Certes, je me suis bien alimenté ces derniers jours. J’ai bu un peu dès que j’ai pu depuis le départ, la température reste idéale, seul le vent est gênant. Donc le mur, ça ne devrait pas être pour cette fois-ci. Normalement, cela ne devrait pas. C’est ça qui est chiant sur ce genre de distance, c’est que l’on ne peut jamais prévoir ...

Dernier passage sur les pavés de la mairie, à moitié escamotés comme les deux fois précédentes. Le trottoir est assez haut, je commence à ressentir quelques douleurs dans les cuisses lors du pas de côté pour y courir. Peut-être n’ai-je jamais été autant à l’écoute de mon corps que ce matin ? Quoique j’ai essayé de me blinder et de n’en pas tenir compte, les propos médicaux m’angoissent un peu. J’essaye de garder la motivation initiale. Allez, plus que douze bornes !

Rue de Paradis, n° 39, un vieux portail d’entrepôt rouillé. C’est le trente-deuxième. Il y a cinq jours, j’ai couru ma dernière sortie d’entraînement, un dix kilomètres, en 1h02’17, en grande facilité. Coup d’oeil vers le chrono : si je peux rééditer ce temps, je vais nettement passer sous les 4h45. Petit frisson. Un sentiment difficile à traduire ... J’ai l’impression d’entendre un Vamoooooooooooos derrière les nuages, sous les feuilles, derrière les clôtures des jardins ... Allez, on y croit ! J’y crois. Et puis c’est plat sur maintenant six kilomètres.

Dernier ravito au trente troisième. Cette fois, je pars avec une bouteille de 33 cl, histoire d’éviter une défaillance en pleine campagne. Une bouteille Vittel avec une histoire puisqu’elle vient du marathon de Paris d’avril 2013. Ce qui me renvoie vers les compétiteurs de Toulouse, Francfort ou Lausanne. Eux en ont sûrement déjà fini depuis longtemps. J’espère qu’ils ont réalisé leurs records personnels.
J’ai cependant changé le contenu de la bouteille : de l’eau, du sucre de canne, du miel, du jus d’orange, une pincée de sel. Dorénavant, un schlock-schlok m’accompagne à chaque foulée. Ce bruit régulier me tient compagnie. J’ai l’impression qu’il me dit « Courage ! Courage !».

Plus que neuf  kilomètres exactement. J’attaque la dernière ligne droite, si l’on peut dire, avec cette fois presque une minute d’avance sur mon tempo de 4h45. J’essaye de calmer mon esprit. Parce qu’il faut tenir jusqu’à l’arrivée, qu’il y a cette montée au trente-neuvième, et que le vent, lui, semble bien plus endurant que moi. Je repense aussi aux propos négatifs du docteur vendredi, aux 100 kilomètres de Millau, à cette série d’événements qui m’ont ramené à la course à pied et qui maintenant tentent de m’en écarter. Je me dis que même si ma course s’arrête dans un kilomètre, j’ai bien fait de tenter. Là, dans cette longue ligne droite qui me ramène vers Mercin, je pense que ça commence à sentir bon, que même si ça ne rime à rien, terminer seul en 4h44’58, ça serait génial. Alors j’essaye d’optimiser ma foulée, d’approfondir ma respiration. Je commence à avoir le nez dans le chrono. Je dois tenir un 6’47/km jusqu’à la fin. Le soleil me dope. Je fais une première fois 6’14. Yeah ! Nouveau frisson.



Trop de carrefours et de changements de direction au trente-quatrième km. Il faut sans cesse relancer. Ça tire un peu dans les cuisses et le mollet droit. Et pourtant à nouveau 6’14. Non, non, Thierry, on reste calme, pas d’enthousiasme exagéré !!! La côte du trente-neuvième n’a sûrement pas baissé d’intensité avec les ravinements dus à la pluie !

Fort vent dans le visage avant de terminer la longueur suivante avec un passage sous la rocade ouest qui me rappelle douloureusement la sortie du tunnel des Tuileries à Paris en avril. Mon genou droit commence à redevenir douloureux à l’intérieur. Pourtant, à nouveau 6’14. Faut-il lever le pied ? Poursuivre ? Ai-je besoin d’un souci ligamentaire en sus du reste ? Des doutes, quelques gouttes de pluie, des pensées mélangées. Le petit schlock-schlock se rappelle à moi : je bois un peu en marchant sur quelques mètres. Une dernière fois cette longue ligne droite vers le pont de Pommiers. 6’20 au trente-septième km. Je n’arrive plus à calculer combien de temps je viens de gagner sur les 6’47/km que je devais faire. Mon genou droit m’inquiète de plus en plus. Allez, même si je dois marcher dans la côte qui arrive, je devrais rester dans les 4h45 ! J’ai beau me dire que 4h44 ou 4h46, ça ne change rien, l’orgueil me rappelle que j’ai visé 4h45. Donc ce sera 4h45.
J’essaye d’allonger la foulée pour économiser le genou. Avec la fin de matinée, la circulation s’est accrue. Je dois faire attention aux autos qui se croisent en m’ignorant royalement. J’ai l’impression que le conducteur d’un Renault Espace gris n’a pas été loin de me toucher le coude droit avec son rétroviseur. Ce con n’a donc pas vu qu’hormis le fossé, je n’ai d’autre possibilité que de courir sur le goudron ?!

Passage sur le pont de Pommiers. Tant pis, je reste sur la chaussée. Le trottoir est bien trop haut, pas assez large, encombré par les géraniums de la rambarde, balayé par un vent latéral. Le risque de chute est trop important.
A nouveau, cette côte qui cette fois se fait sentir avant même le virage de gauche à la boulangerie. Le genou droit semble rechigner. Je repense au tee-shirt féminin jaune du tour précédent, à son parfum. C’est idiot, mais ça me donne de l’entrain !

Cette fois, la montée vers l’église se fait bien sentir. Mais merde, pourquoi avoir tracé ce parcours ?! Puis zut ! La côte de Tiergues ne m’a pas fait souffrir, ce n’est pas cette minable avenue Jean Caudron qui va gagner !
Malheureusement, un peu oui quand même : 6’47 pour ce trente-huitième kilomètre ... Allez, se remotiver ! Euh, ça non, ... ça va encore. C’est plutôt relancer la foulée dans le faux plat qui reste avant la mairie qu’il faut !
Un petit vieux s’affaire à gratter un je-ne-sais-quoi sur son muret. « Mais vous êtes déjà passés tout à l’heure, vous ! » qu’il me lance. « Oui, oui, je repasse, j’avais oublié de vous saluer la fois précédente ! Bonne matinée, Monsieur ! ». La descente qui s’annonce et le soleil cette fois bien présent m’ont mis d’excellente humeur.

J’ai toujours pensé que c’est dans les dernières foulées qu’une course se réussit. Voilà maintenant depuis fin avril, depuis mon merdique marathon de Paris, que je m’oblige à terminer mes sorties, même le moindre footing, plus rapidement qu’entamés.
Dernière gorgée avant les 4200 mètres restants. Je m’applique : allonger la foulée, respirer calmement, tout en en gardant sous les semelles pour le dernier kilomètre.
Quarantième longueur en 5’32. Je m’étonne moi-même. Certes, avec en partie un léger faux plat descendant et quelques bouffées de vent porteur. En regardant la ligne supérieure de mon chrono au passage du quarantième, j’ai les yeux qui scintillent : 4h24’53 ! Ouh là là, que ça fleure bon le méga sub 4h45, ça !!!





Virage montant à angle droit à l’entrée de Pasly. C’est la première fois que je le négocie à pleine charge : ça tire bien. Hormis le passage du pont sur l’Aisne, je sais que maintenant c’est presque soit en descente, soit plat jusqu’au final. Alors, je tire. Les cuisses sont lourdes, ça tire fort, mais ça passe, d’autant qu’à cet endroit les bourrasques de vent me poussent. Maintenant, ce sont près de cinq cent mètres assez faciles au milieu des champs. Je suis presque étonné de la facilité avec lesquels je les engloutis. L’impression n’est pas qu’un ressenti : 5’20 au quarante-et-unième kilomètre. Aïe ! J’ai visiblement mal dosé mon effort, j’aurai pu partir sur un tempo bien plus soutenu !
Antépénultième carrefour, un rond-point. Je suis incapable de dire s’il y avait ou non un véhicule : je l’ai tangenté comme si j’avais été Benjamin Malaty ! Franchissement du pont de Pasly. Là, c’est sûr, je n’ai jamais été aussi vite dans ce passage.

Dernière ligne droite : 475 mètres avec un vent latéral droit plutôt favorable. Une grande avenue dans laquelle je n’ai dû peut-être jamais sprinter. Mais là, je sprinte. J’ai oublié que j’étais seul, qu’il n’y avait rien à gagner, rien à décrocher, pas de médaille, pas de tee-shirt finisher, pas d’applaudissement, rien de rien. Pourtant, une espèce d’euphorie complexe me submerge : colère envers cette leucémie et ce docteur qui m’a retiré mon feu vert en course, immense satisfaction d’avoir bouclé seul la distance, une image du départ des 100 km de Millau, ces nuages blancs qui roulent dans un ciel maintenant vraiment bleu... ciel, l’intense pressentiment qu’un entraînement adapté me permettrait de passer assez vite sous la barre des 4h00 au marathon, un souvenir de Maïté et d’une neige amoureuse à Cuffies trois ans plus tôt. Je me demande aussi si le York a rejoint sa maîtresse, si la joggeuse en jaune était célibataire, combien de kilomètres s’est enfilé aujourd’hui Yohan Diniz, quel est le prochain objectif de Christian ... Le soleil est mon ami.

J’aimerai que cette dernière ligne droite de l’avenue de Pasly ne se termine pas. Même sensation qu’à l’issue de Millau : j’ai encore envie de courir !

Passage au 42,195e kilomètre. C’est la cinquième fois cette année que je passe cette distance. Aberrant : je n’arrête pas mon chrono ! Je continue jusqu’à la place Lamartine, soit 230 mètres plus loin. Pour être sûr et certain que la distance mythique est bien là. Touche arrêt. 6’18 pour les 1230 derniers mètres et ... 4h36’31 au total. P’tin, font chier ces docteurs !!! J’en ai les larmes aux yeux. Un indescriptible sentiment m’envahit. Je crois que je viens de faire l’amour avec un marathon !  ... Ou alors suis-je devenu Alice entrant au Pays des Merveilles ?